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hauts arbres du pare. Il faut marcher jusqu’au tournant de la rue de l’Abbaye, près de la route de Dinan, dans le voisinage de l’étang, pour distinguer nettement les détails de cette forteresse que Chateaubriand a comparée à un « char à quatre roues ». L’ensemble est imposant et sévère. Les tours cylindriques, couronnées de créneaux, paraissent énormes au regard des constructions qui les réunissent. Les fenêtres grillées semblent des trous noirs comme des embrasures de canons, et les croisées étroites des tours sont pareilles à des meurtrières. Au pied des murs du château, la foule est occupée de la vente et de l’achat des porcs qui hurlent dans des cages. Tout ce monde bruyant est agité par les soucis du négoce au pied de ce grand château silencieux, et l’ensemble fait un décor de féerie étrange et folle.

Après le déjeuner, lorsque après avoir franchi la grille, je pénètre dans le parc qui précède le château à l’est et au nord, c’est d’abord une vaste clairière. Il faut tourner une allée avant de découvrir la masse de l’édifice flanqué de ses quatre tours. Les hôtes actuels sont assis sur le perron, comme autrefois. Je n’aperçois de Mme de Chateaubriand, assise dans une guérite d’osier, qu’une robe noire et deux mains qui tricotent. La châtelaine a mis à ma disposition une servante pour me guider dans ma visite.

J’entre dans un vestibule orné de peintures murales. La grande salle où se promenait le père de Chateaubriand, et qui servait de salon et de salle à manger, a été divisée en deux par une cloison. La grande cheminée a été conservée. Tout le mobilier est moderne à la façon des meubles luxueux de Paris. Dans une pièce voisine, c’est le bureau de Chateaubriand et une partie de sa bibliothèque. Au pied de l’escalier, le buste sculpté par David d’Angers, et tout en haut, la chambre où l’écrivain du Génie du Christianisme passa sa jeunesse. On l’a convertie en musée, on y garde le petit lit de fer où le vieillard est mort, le squelette du chat boiteux que l’on entend gravir l’escalier dans les Mémoires d’outre-tombe, une table chargée de livres, un encrier, quelques meubles d’une extrême simplicité. Ce qui donne l’émotion de la présence ancienne, ce sont les parois de cette petite chambre, c’est l’escalier par lequel on est monté, c’est la porte, c’est la fenêtre étroite, c’est la galerie sur laquelle on sort et d’où l’on aperçoit le vaste horizon. C’est là, dans ce réduit, c’est devant ces campagnes sévères et ce grand ciel chagrin, que s’est formée la sensibilité de l’homme et la tristesse du génie de l’écrivain. C’est cette tristesse qui a mis sa marque sur toutes choses, jusqu’à sembler une tradition perpétuée à travers les générations. Le parc, ses prairies, ses vergers, ses grands arbres, qui sont pourtant de belles choses vivantes, tout est triste ici depuis qu’une grande pensée triste s’est imposée à nous. Le château, qui fut tour à tour la propriété de Junken, évêque de Dol, des Tinténiac, de la famille Du Guesclin, de Geoffroy de Châteaugiron, des Coëtquen, du maréchal de Duras, semble avoir servi de réceptacle à l’humeur chagrine de toutes ces familles illustres, mais n’en croyez rien, c’est la tristesse de Chateaubriand qui remonte les temps et qui s’impose au passé.

ÉGLISE SAINT-ÉTIENNE À RENNES.

L’existence menée là devait avoir une action profonde sur cet adolescent, son imagination ne pouvait que s’exalter dans cette atmosphère de silence forcé. Ce fut sa sœur Lucile qui lui donna le secret de faire de la vie avec cette mort. Comme elle l’entendait parler avec ravissement de la solitude : « Tu devrais peindre