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C’est donc tout d’abord comme un champ de bataille qu’apparaît la vallée de Fougères avec son amas de maisons au sommet de sa colline, ses murs, ses fossés, ses remparts, au bas desquels achève de se désagréger la ruine, réparée çà et là, de son château-fort. La vie, pourtant, lutte doucement contre les souvenirs de mort. Les maisons ont rompu l’enceinte, descendent tranquillement la pente, s’arrêtent gentiment au pied de la colline où coule le Nançon : on dirait qu’elles se sont enhardies à sortir de leur prison, à courir la campagne. Si l’on va au Château par la droite, en prenant le boulevard qui traverse la ligne du chemin de fer, et que l’on s’arrête sur l’emplacement des fossés comblés, on peut se rendre compte de ce qu’était l’ancienne ville. Les fondations des vieilles maisons s’appuient sur les murailles prêtes, croirait-on, à s’écrouler, tant elles sont lézardées, trouées de toutes parts, comme s’il y avait partout traces de boulets et de mitraille. Parmi ces constructions, dont les pignons surplombent le gouffre, s’élèvent encore de vieilles tours, aux meurtrières desquelles pendent des linges ou des hardes qui sèchent, reliées à des maisons aux toits pointus. Dans les crevasses des remparts, verdissent et fleurissent des jardins en terrasses, des tonnelles ombragées d’arbres fruitiers et de plantes grimpantes. Plus haut, des balcons, des fenêtres étroites, des toits en ardoises s’enchevêtrant en fouillis capricieux tracé par une géométrie de hasard. Tout cela vu à travers les ramures de grands arbres qui encadrent ce tableau de ruines, et lui donnent, au jour où je l’aperçois, une étrange splendeur d’automne.

JARDIN ET CHAPELLE DU CHÂTEAU DES ROCHERS.

Du boulevard de Rennes, le même panorama se présente sous une autre face. On devine les artifices à l’aide desquels une science architecturale rudimentaire a pu étayer tout un quartier sur des ruines, en appuyant des constructions sur des murs crénelés, d’une épaisseur extraordinaire, défiant les secousses des ouragans et la désagrégation des pluies. Des ruelles étroites, escarpées, des marches de pierre que l’on s’essouffle à gravir, conduisent à des cassines, misérables à l’extérieur, très propres à l’intérieur. Tous ces faubourgs sont peuplés d’un monde de travailleurs exerçant l’industrie des tissus, la tannerie, la cordonnerie, exploitant des carrières de granit, s’employant à la verrerie de Laignelet.

Je suis là un dimanche ; un fumet de rôti embaume ces quartiers. Il est midi, on rencontre à chaque pas des ménagères qui, à l’issue de la messe, rapportent au logis, à plat découvert, le gigot ou la volaille rôtis chez le boulanger. C’est la bombance hebdomadaire, le festin dominical. Un tel jour, il faut bien passer sa matinée dans les rues : les offices empêchent la visite des églises, le château est fermé jusqu’à midi ; on ne peut que se promener à travers les boyaux étroits des vieux quartiers ou dans les rues larges que bordent les constructions modernes. On respire bien un peu trop les mauvaises odeurs des rues du Marché, des Vallées, du Nançon, des Tanneurs, mais les aspects qu’on y aperçoit offrent une compensation. Les enseignes y deviennent une distraction, on y apprend que « Benoît, sonneur » est « au fond de la ruelle ». À chaque pas, on est arrêté par une vieillerie, une relique encastrée dans une muraille et respectée par la truelle des maçons et le balai à chaux des badigeonneurs.

On parvient ainsi, par la rue du Fos-Querally, aux limites des anciennes murailles et à la porte Saint-Sulpice, flanquée de tours, qui a échappé à la destruction. Presque tout de suite, c’est la flèche penchée de Saint-Sulpice, ancienne chapelle transformée en église au xie siècle, et dont l’ensemble n’a été achevé qu’à la fin du xviiie siècle. Les murs extérieurs sont ornés de gargouilles, de têtes de chiens aux gueules grimaçantes. À l’intérieur, le retable d’un des autels, sculpté dans le granit, représente les instruments de la