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trop matin pour elle. » On aime Rabelais, Corneille, Boileau, La Fontaine, on est injuste pour Racine.

Mais il me faut quitter ces souvenirs et ce séjour. De la terrasse, on voit pointer le clocher d’Étrelles, où Mme de Sévigné allait chercher la messe avant que sa chapelle fût consacrée. Non loin, sur la jolie route qui mène à Argentré, c’est le château du Plessis où habitait la demoiselle si maltraitée aux Rochers : il est aujourd’hui recrépi, blanchi, aimable, dans son décor de pelouses et de bosquets.

Je reviens à Vitré et je pars pour Fougères. En route, Dampierre, où sont deux blocs de quartzite appelés le Saut-Roland, entre lesquels coule la Cantache. La tradition raconte que le chevalier Roland, après avoir franchi plusieurs fois, à cheval, l’espace qui sépare les deux rochers, aurait fini par tomber dans le gouffre : l’empreinte du sabot du cheval est, dit-on, visible sur le roc. Non loin de là, une autre roche nommée la Pierre-Dégouttante, d’où jaillit une source : ce sont les larmes de la « dame » du paladin qui creusent le roc depuis des siècles. J’oublie ces légendes devant la réalité de Fougères. Fougères est une jolie ville de vingt mille habitants. Elle était jadis le titre d’une baronnie fondée au xie siècle par Méen, fils de Juhel Bérenger, comte de Rennes. Méen fit bâtir un château au fond de la vallée où passe aujourd’hui le chemin de fer. Des maisons s’élevèrent ensuite sur la hauteur voisine, à distance respectueuse. D’habitude, aux temps féodaux, c’était le contraire : les maisons dans la vallée, le château sur la hauteur. Est-ce ce vice de construction qui fit prendre la ville et raser le château, un siècle et demi plus tard, par la faute d’un successeur de Méen qui eut l’imprudence de déclarer la guerre à l’Angleterre ? Fougères, relevée de ses ruines, fut assiégée à plusieurs reprises : en 1230, par Pierre de Dreux ; en 1372, par Du Guesclin ; en 1418, par un aventurier à la solde de l’Angleterre, François de Surienne. La baronnie étant passée aux ducs de Bretagne, François II dut assiéger la ville pendant cinq mois pour l’arracher à Surienne. À la suite d’une insurrection, Charles VIII envoya en Bretagne une armée qui s’empara de Fougères après dix jours de siège. Pendant toute la durée de la Ligue, la ville fut occupée par le duc de Mercœur. Au xviiie siècle, Fougères était une agglomération de maisons presque toutes bâties en bois : elles furent à six reprises la proie des flammes. En 1792, à la suite de la conspiration de la Rouërie, treize Fougerais furent exécutés sur une place de la ville. Le 19 mars 1793, la garde nationale battit et repoussa une bande de huit mille Chouans. La même année, le 4 novembre, les Vendéens prenaient la ville d’assaut, l’abandonnaient, la reprenaient, la perdaient : elle resta en état de siège jusqu’à la fin de la Chouannerie, c’est-à-dire jusqu’au Consulat.

LE CHÂTEAU DES ROCHERS.