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d’appuis, de balustres de pierre, de fers ajourés, les angles des façades arrondis par des tourelles surmontées de poivrières percées de lucarnes. La plupart de ces édifices ont été défigurés par les réparations, des trous ont été comblés à l’aide de briques, des lézardes dissimulées sous le mortier ou le plâtre. Tels sont l’hôtel Limoyne de la Borderie, place du Vieux-Marchix ; l’hôtel du Bourg, rue de la Poterie ; l’hôtel du Langle dans la Mesriais ; l’hôtel Hardy, occupé par un établissement de bienfaisance. L’habitation de la famille de Sévigné, dite Tour de Sévigné, a été démolie, il y a plus d’un siècle, pour donner passage à une rue qui porte le nom de Sévigné. La propriété est décrite dans « l’aveu » de 1688. La marquise a parfois habité cette Tour. Elle y eut un lit, un petit lever, y reçut toute la Bretagne ; elle écrit à propos de l’un de ses séjours : « Dix ou douze hommes soupèrent avec mon fils à la Tour de Sévigné… Il y eut dans ce repas une jolie querelle sur un rien : un démenti se fit entendre, on se jeta entre deux, on parla beaucoup, on raisonna peu. Le marquis eut l’honneur d’accommoder cette affaire. »

Non loin, Notre-Dame, ancien prieuré de l’Abbaye de Saint-Melaine de Rennes, commencée au xve siècle, achevée au xvie, amalgame le gothique et la Renaissance. Il n’y a d’intéressant à l’intérieur que le tombeau de la femme de Barbe-bleue, André de Laval, maréchal de Rais, qui fut jugé et pendu à Nantes pour actes infâmes et meurtres commis sur la personne de jeunes garçons et de jeunes filles. Huysmans, dans Là-bas, a raconté toute cette histoire de son beau style subtil. L’extérieur retient davantage, avec sa chaire sculptée accrochée à l’un des contreforts. Des femmes coiffées de bonnets plats, à brides de tulle, comme j’en ai vu tout à l’heure chez la repasseuse, les épaules recouvertes d’un grand fichu ou d’un petit châle noir frangé posé en losange sur leurs épaules, entrent dans l’église ou en sortent. Il est bien rare qu’une église soit déserte en Bretagne. Il y a toujours quelque bonne femme agenouillée au bord d’une chaise, sur une dalle ou sur une pierre tombale, un prêtre qui circule, un bedeau qui fait le ménage.

CHAIRE EXTÉRIEURE DE L’ÉGLISE DE VITRÉ.

Il est à Vitré d’autres églises : Saint-Martin, de construction récente, bâtie sur l’emplacement du château de Rivalon, l’intérieur orné selon l’art du quartier Saint-Sulpice à Paris ; Sainte-Croix, ancien prieuré de l’Abbaye de Marmoutier, fondé en 1076, par Robert de Vitré, rebâtie au commencement du xixe siècle. Tout ceci nous mènerait à l’histoire religieuse de Vitré, si nous avions le loisir de nous arrêter ainsi au début du chemin. Qu’il suffise de dire que les couvents abondent au temps des barons catholiques romains, qu’ils diminuent à l’avènement des la Trémoille, qui sont de la religion réformée, qu’ils reparaissent après la révocation de l’édit de Nantes.

Je m’en vais au château des Rochers, chez Mme de Sévigné. En route, le voiturier causeur me dit que la ville fait gros commerce de beurre, de grains, de fourrages, de bonneterie en laine, de passementerie, de boissellerie, de vannerie, de cuir, de cire, de miel. Nous avons aussi, me dit-il, de belles carrières de pierre à bâtir. Et de mon côté je me remémore une lettre de Mme de Sévigné, lue avant de quitter Paris, informant Mme de Grignan qu’il y a un bon tailleur à Vitré, et de bonne toile. C’est la femme d’un la Trémoille qui avait eu l’idée, en 1522, de faire venir des tisserands de Belgique pour former des apprentis. En peu de temps, chaque fermier eut son métier à tisser, le chanvre était cultivé partout. L’hiver, à la veillée, assises autour des cheminées, les femmes tillaient, tandis que les hommes peignaient les étoupes avec des peignes à dents de fer accrochés, de distance en distance, à hauteur de main, à des traverses assujetties contre le mur. Les toiles exportées en Hollande, en Espagne, en Angleterre, furent une cause de richesse. Il en est, me dit-on, resté quelque chose.

Nous avons traversé le boulevard des Jacobins, nous nous sommes engagés sur le boulevard des Rochers, planté d’érables, de chênes, de quelques châtaigniers. La route est bordée de haies. Le terrain ondule doucement. Il fait un joli soleil d’après-midi. On passe devant une chapelle, on arrive à l’embranchement de deux chemins, l’un qui descend vers Argentré, l’autre qui monte en pente légère et longe le mur du jardin des Rochers. Bientôt, c’est une terrasse étendue où se trouvent, à droite, les communs du château, et au fond, à gauche, la chapelle et l’habitation de Mme de Sévigné.

Le château, dont les constructions, le jardin et l’ancien parc, aujourd’hui séparé par une grille de