amateur de vieux langage : je me souviendrai toujours du boniment d’un marchand d’orviétan devant un groupe de villageois qui l’écoutaient bouche bée ; j’aurais donné cher pour en fixer au vol toutes les expressions et l’inénarrable accent qui semblait se rapprocher de l’auvergnat. Cette belle cité, aux allures de capitale, est entièrement pavée en bois, trottoirs compris, mais cette voirie, pratique si elle était entretenue, est dans un état déplorable, semée de casse-cous que les orages, d’une violence inouïe, accompagnés d’incessants éclairs et de pluies diluviennes, transforment souvent en lacs et fondrières qui, heureusement, sèchent vite.
La principale curiosité des environs de Montréal est le village indien de Caughnawaga ou du Sault Saint-Louis, situé au bord du Saint-Laurent, près des fameux rapides de Lachine. À l’encontre des Hurons de Lorette qui furent toujours, pour nous, de fidèles alliés, les Iroquois de Caughnawaga, au nombre d’environ 2 000, ont toujours pris parti pour les Anglais. La réserve au milieu de laquelle se trouve leur village est une immense prairie parsemée de pierrailles et de buissons rabougris entre lesquels pâture le bétail ; de la gare au village, dont on voit de loin l’église et son clocher pointu, il y a environ vingt minutes de marche par le plus défoncé des chemins. Les maisons sont, pour la plupart, de véritables cottages entourés de jardinets fort bien cultivés ; l’ensemble indique l’aisance et maint détail d’intérieur dénote une préoccupation de confort inconnue de nos paysans. Sauf la couleur et quelques traits de physionomie que les métissages finiront sans doute par effacer, ces Iroquois ont conservé bien peu de leurs sauvages ancêtres ; l’ivresse, chez eux, seule, est redoutable, car elle réveille l’atavique Inconscient que, depuis 200 ans, tous les efforts des « Robes Noires » n’ont pu qu’assoupir.
M. l’abbé Forbes, le très distingué missionnaire du Sault Saint-Louis que, le mercredi 12 juillet, j’eus la bonne fortune de rencontrer au presbytère, voulut bien me proposer de visiter avec lui quelques-uns de ses paroissiens, ce que j’acceptai avec empressement, et nous fîmes ensemble le tour du village en nous arrêtant de temps à autre pour causer avec les Indiens sur le pas des portes. Ces Iroquois, au nez en bec d’aigle et à la lèvre inférieure charnue, ont un faux air de Sémites. Ils sont généralement grands et bien faits, avec une tendance à l’embonpoint en vieillissant. La jeune génération laisse pousser sa barbe, d’ordinaire peu fournie, ce qui, avec leurs yeux obliques, les fait ressembler à des Chinois, mais quelques vieux, rasés, ont encore conservé l’aspect des héros légendaires de Fenimore Cooper. Le premier chez lequel nous entrâmes était un vieillard couleur de cuivre rouge à grands traits réguliers ; à ma question s’il comprenait le français, il répondit : « Un p’tit brin ».
La glace était rompue, ce sauvage parlait bas-normand ! Le mystère s’expliqua d’ailleurs quand parut sa femme, une vieille Canadienne qu’au temps lointain de leurs épousailles il ne comprenait pas, et leur ayant demandé comment, dans les commencements, ils s’y étaient pris pour s’entendre, la bonne femme, souriant, me répliqua : « Eh dam ! on s’entergârdait… »
Comme nous exprimions alors le désir de photographier le bonhomme, ce dernier nous fit, de la main, signe d’attendre une seconde, puis, allant à un coffre, il en retira soigneusement quelques oripeaux dont la vue fit hausser, de pitié, les épaules à sa femme qui parut, in petto, le traiter de vieux fou. Passant ensuite dans un cabinet, il en ressortit quelques instants après, vêtu du grand costume de guerre que la tribu portait encore, les jours de fête, au temps de sa jeunesse ; Baptiste, le paysan bonasse de tout à l’heure, avait disparu, l’expression du visage était toute changée, solennelle et triste : devant moi se dressait, drapé de majesté, un sachem iroquois des âges héroïques, Oronhyatekha (l’Horizon Embrasé)…
Je vais ensuite acheter, à titre de souvenirs, quelques échantillons de l’industrie locale, dans le magasin de M. de La Ronde-Thibaudière, Iroquois notable et descendant authentique d’une longue lignée d’officiers français qui jouèrent jadis un rôle glorieux en Acadie et au Canada. Son élégante villa est du dernier con-