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Chambord — suprême hommage rendu par les Canadiens français au drapeau blanc qui fut celui de leurs pères, — Chambord est à 177 milles de Québec et le point où l’on atteint le lac Saint-Jean ou Pikouagami (lac plat), ainsi que l’appellent les Indiens. Cette mer intérieure, découverte en 1647 par le Père de Quen, est de forme ronde et tellement large, qu’on en aperçoit difficilement les rives opposées ; le pays qui l’environne est plat et bordé par de hautes montagnes qui s’élèvent de 3 à 5 lieues de ses rives.

À cette station de Chambord, la ligne se subdivise en deux branches, dont l’une, longeant le Sud du lac, se dirige à l’Est, vers Chicoutimi, tête de navigation du Saguenay ; l’autre, qui va vers l’Ouest, sur les bords du lac, pendant 14 milles, jusqu’au point terminus de Roberval. Un peu avant d’arriver à cette dernière station, on aperçoit du train la chute du Ouiatchouan, formée par les eaux du lac Bouchette, qui se précipite de 236 pieds de haut, et peut, par sa beauté et la grandeur sauvage de ses alentours, rivaliser avec celle de Montmorency. Vers six heures du soir, enfin, on descend du train, heureux de se dégourdir les jambes sur le quai de Roberval, grande paroisse française, au bord même du lac, et qui possède, à quelques centaines de mètres de la gare, un hôtel aménagé en forme de club de chasse et de pêche, ne laissant, quoique en bois, rien à désirer au point de vue du confort.

RAPIDES DE LA PERIBONKA, À HONFLEUR (LAC SAINT-JEAN). — CLICHÉ DE LA COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER « QUÉBEC ET LAC SAINT-JEAN ».

Les jours sont longs au mois de juin ; aussi, ayant appris qu’il se trouvait en ce moment beaucoup d’Indiens Montagnais à la Pointe-Bleue, sur le bord du lac, je pris une voiture et m’y fis conduire.

Ces Montagnais, à moitié nomades, chassent l’hiver, dans les bois immenses qui s’étendent entre le lac Saint-Jean et la baie d’Hudson et redescendent l’été à cette réserve de la Pointe-Bleue où est établi un poste de traite qui échange leurs fourrures contre les provisions dont ils ont besoin pour passer l’année. Quand le gibier est rare, dans ces déserts où ils s’enfoncent, avec femme et enfants, les malheureux souffrent cruellement de la faim, et parfois même en meurent. Ils sont extrêmement bruns de peau, et, quoique chrétiens, bien moins civilisés que ceux de l’intérieur ; leur nom de Montagnais provient de ce qu’ils habitaient jadis les Laurentides ; ils furent, pendant des siècles, en guerre avec les Esquimaux du Labrador. L’été, ils servent de guides aux étrangers et se préparent pour leur campagne d’hiver. Si l’on songe qu’ils ne fournissent pas, annuellement, moins de 36 000 oies sauvages à la Compagnie de la baie d’Hudson, on peut se faire une idée des nuées de gibier qui s’abattent chaque automne sur le lac Saint-Jean.

Arrivé vers 7 heures à la Pointe-Bleue, j’entrai dans l’église qui était pleine de fidèles. Le missionnaire prononça une allocution en montagnais, puis l’assistance se mit à chanter des cantiques avec beaucoup de justesse et d’ensemble. À part quelques femmes au costume étrange et au type indien très accentué, tout ce monde ne différait guère des Hurons de Lorette ; les enfants de chœur, notamment, étaient blonds et roses comme de vrais petits Anglais. Je sus plus tard que cette assemblée n’était composée que de métis issus des alliances contractées par les agents irlandais de la Compagnie de la baie d’Hudson avec des Montagnaises.