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des plus belles promenades de l’Amérique entière, la terrasse Dufferin. Plus haut encore, on parvient à la vieille citadelle d’où se déroule, sous un ciel presque toujours pur, un panorama qui ne saurait être surpassé dans aucun des deux mondes : devant vous, c’est une ville de 75 000 âmes, Québec, anneau qui unit la chaîne des anciens jours à celle du temps présent, tout un chaos de toits antiques, d’édifices aux silhouettes étranges et surannées dont la vue vous transporte à 150 ans en arrière ; puis, çà et là, l’Université Laval, les nouvelles constructions du Parlement, le Palais de Justice, et toutes les maisons neuves qui se dressent à côté des témoins du passé glorieux, attestent les efforts continus et la vitalité d’une race confiante dans l’avenir.

Après avoir longuement contemplé la cité et sa singulière confusion de constructions éparpillées, comme au hasard, sur les versants de la montagne, dévalant, pour ainsi dire, jusque dans les eaux du Saint-Laurent, si vous regardez au loin par-dessus les clochers et les monastères, les monuments et les remparts, vous découvrez les hauteurs de Lévis que couronnent de sourcilleuses fortifications ; en face de vous, l’île d’Orléans et ses frondaisons vertes, tel un navire ancré au large, divise en deux le fleuve immense et semble, d’en bas, implorer la protection de la hautaine citadelle ; à gauche, le long et étroit village de Beauport, dont les maisons brillent dans le soleil, s’étire comme un serpent le long du rivage ; plus loin, au delà des plaines, défile mont à mont la chaîne bleue des Laurentides qui finit par se confondre en légers nuages avec l’horizon ; plus à l’Ouest, on aperçoit les méandres du Saint-Charles qui coule, sinueux, à travers les prairies pour venir se jeter dans le Saint-Laurent, puis ce sont la route de Sainte-Foye et les plaines d’Abraham, témoins de scènes terribles et glorieuses, aux jours lointains déjà du conflit décisif.

Pénétrant dans la ville, après l’avoir ainsi parcourue à vol d’oiseau, vous rencontrez le château Frontenac, nouvel hôtel de style Henri IV dont le profil majestueux orne l’un des angles de la terrasse Dufferin. Cette plate-forme, qui a un quart de mille de longueur sur 60 pieds de large, est à l’ombre de la citadelle et domine tout le bas Québec ; le fleuve s’étale à 200 pieds au-dessous dans un décor d’incomparable magnificence.

Malgré quelques différences de costume, très superficielles, l’aspect de la foule est bien français — et que les phrases que l’on entend, les expressions saisies au vol, paraissent vieilles, dans ce pays pourtant si jeune ! — car, ne l’oublions pas, quoiqu’on ait peine à le croire : à quelques lieues seulement de l’antique cité aux rues tortueuses, les Laurentides à l’horizon prochain, cachent, comme un écran, de vastes solitudes : le Grand Nord, désert immense de forêts et de lacs qui va, de là, jusqu’à la baie d’Hudson !

Ces territoires, naguère inexplorés, commencent seulement à s’entr’ouvrir, grâce à des lignes de pénétration le long desquelles les colonies s’échelonnent.

Mais avant de pousser une pointe dans ces réserves de l’avenir, il faut aller visiter les célèbres chutes de Montmorency, tout près de la ville, sur la rive gauche, au delà de Beauport.

Je les avais déjà entrevues du train quelques minutes avant d’arriver à Québec ; leur grand rideau liquide et miroitant produit de loin un effet extraordinaire ; il ne perd pas, d’ailleurs, à être contemplé

CHICOUTIMI (PAGE 564) — LIGNE DU CHEMIN DE FER « QUÉBEC ET LAC SAINT-JEAN ».