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vaste et si peu peuplé, qui peut un jour devenir une Acadie nouvelle, si le danger de l’émigration aux États-Unis est enrayé. Un autre danger provient de l’enseignement même, trop exclusivement anglais dans certaines écoles, de sorte que ce sont les plus instruits d’entre les Acadiens qui courent le plus de risques de perdre leur langue maternelle.

Le jour où l’enseignement des deux langues sera sûr un même pied d’égalité, la race acadienne — qui a su se ressaisir et a donné un admirable exemple de fidélité à ses traditions — la race acadienne, confiante en cette étoile qu’elle a choisie comme emblème, pourra, reprenant le cours momentanément enrayé de ses destinées, concourir avec les Canadiens à restaurer et pour toujours, dans l’Amérique du Nord, la Nouvelle-France.


VI

DE QUÉBEC AU LAC SAINT-JEAN

Québec et ses environs. — Lorette. — Le lac Saint-Jean. — Roberval. — La Pointe-Bleue. — Chicoutimi. — Le Saguenay. — Tadoussac. — Le Saint-Laurent.


Passer des Provinces Maritimes à Québec, sans transition, tout d’une traite — grâce à l’Intercolonial — est un grand soulagement ; l’impression pénible et déprimante causée par l’infériorité numérique et sociale des Acadiens disparaît dès que l’on a posé le pied sur le quai du Cap Lévis. À partir de ce moment ; les rôles semblent retournés : le Français règne en maître, il est chez lui, tient le haut du pavé et tout en vivant en excellents termes avec ses compatriotes anglo-saxons, les considère toujours un peu comme des « uitlanders », car il revendique pour lui seul ce nom de « Canadien » dont, à bon droit, il est très fier.

LES MARCHES NATURELLES (PAGE 557). — CLICHÉ DE L’AUTEUR.

On voit, parfois, de par le monde, des panoramas si parfaits que le plus génial décorateur se garderait de modifier leur ordonnance, de crainte d’en détruire la suprême harmonie, comme, par exemple, le fond du lac Léman, la baie de Naples ou le Bosphore ; telle est Québec, cité du Bois-Dormant abandonnée par nous, jadis, au bout du Nouveau-Monde et qui, depuis, somnole en murmurant, parfois : Je me souviens[1]. La gare de l’Intercolonial se trouve, avons-nous dit, sur la rive droite du fleuve, au Cap Lévis, que des bateaux, traversant tous les quarts d’heure, mettent en communication avec la ville, cette ville de clochers et de tours que, du pont du navire qui franchissait le Saint-Laurent, je regardais venir à moi dans la lumière cendrée d’une matinée de printemps.

Au moment d’aborder, mon regard rencontra un mur, un grand mur blanc tout nu, portant en lettres énormes et noires, ces deux seuls mots : La France : simple réclame, au reste, d’un fabricant quelconque, au nom de famille très répandu là-bas, mais qui semblait me héler du rivage le mot d’ordre magique qu’il fallait employer pour entrer dans la place.

Spontanément, des ressouvenirs de Granville et de Saint-Malo s’imposent : Québec, au fond, est plus fille du Vieux Monde que du Nouveau où, de toutes pièces, elle paraît avoir été transplantée avec ses habitants ; son charme pénétrant et l’incomparable décor qui l’environne vous saisissent tout entier au débarqué, sans : donner à l’esprit le temps de se défendre, et si plus tard, l’on était tenté de se ressaisir, son hospitalité vous en empêcherait.

Québec, capitale de l’ancienne Nouvelle-France, est la porte du Canada et le Gibraltar du Saint-Laurent ; pas un coin de son territoire qui ne soit historique ou consacré à la mémoire de quelque grand événement, depuis le point du rivage où atterrit Champlain, jusqu’aux plaines d’Abraham, où Wolfe fut enseveli dans sa victoire et où Montcalm versa son sang pour sauver l’honneur d’un pays qui l’abandonnait.

Une fois débarqué, l’on grimpe pendant un demi-mille à travers d’étroites rues en spirale accrochées au flanc de falaises mouvementées, entre deux rangs de constructions vieillottes, jusqu’à ce qu’on atteigne une

  1. Devise de Québec.