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tant, mais véritable microcosme composé de races et de sous-races qui, loin de se fondre, ont, grâce à l’isolement, poussé jusqu’à l’extrême le plus étroit particularisme : les Celtes, d’abord, ou Écossais, descendants de colons venus des Highlands à la fin du siècle dernier et ne parlant, pour la plupart, que le gaëlique ; ils ont un journal rédigé dans cette langue qui bientôt n’existera plus que dans ce coin perdu de la Nouvelle-Écosse[1]. Ce sont ensuite les Irlandais catholiques qui ne frayent pas avec les Anglais protestants, et ces trois races se subdivisent encore — le croirait-on — en Orangistes et Jacobites, qui se narguent entre eux à certains anniversaires que les premiers célèbrent au chant des Boyne Waters, tandis que les seconds qui s’attendrissent toujours sur les malheurs des Stuarts, répondent par l’air de Flora and Prince Charlie. Puis c’est le tour des Acadiens français, vivant très à l’écart et repliés sur eux-mêmes, dans l’amertume de leurs souvenirs, et enfin les Indiens nomades, premiers possesseurs de ce sol tant disputé.

Toutes ces races si diverses, venues des profondeurs de l’Histoire, n’ont pas oublié leur passé sanglant, et vivent ainsi, sans se mêler, côte à côte, unies seulement dans leur commun amour pour la petite île sauvage et libre dont elles ne franchiront jamais l’horizon borné.

Le lendemain matin, nous retournâmes, par le train, à Sydney, dont le port est un des meilleurs et des plus commerçants de toute l’Amérique ; il partage la ville en deux quartiers, d’environ, chacun, 3 500 habitants et puise une des principales sources de sa prospérité dans le charbon dont le Cap-Breton renferme des mines importantes qui occupent près de 6 000 ouvriers ; on y embarque une moyenne annuelle de 800 000 tonnes : notre marine y possède une station de ravitaillement, et pendant mon court passage, j’eus le vif plaisir d’y rencontrer deux de nos navires, le Troude et l’Isly, ce dernier battant le pavillon du commandant de la division de Terre-Neuve, M. le capitaine de vaisseau Hennique, dont M. l’abbé Doucet et moi n’oublierons jamais le si bienveillant accueil.

C’est à Sydney que se publie l’unique journal gaëlique du monde entier, dont j’ai déjà parlé ; il a pour titre : Mac T’alla (l’Écho), est hebdomadaire et possède des abonnés de chaque côté de l’Océan, servant ainsi de trait d’union aux deux Écosses. On prêche aussi en cette langue dans les églises presbytériennes de la ville.



Je n’ai pas encore eu l’occasion de parler des Micmacs, et je dois dire que les rares échantillons de ces aborigènes des Provinces Maritimes que j’avais rencontrés jusqu’ici aux abords des gares, n’étaient guère faits pour tenter la description mais ayant appris qu’un campement de nomades se trouvait en ce moment à quelques kilomètres de Sydney, nous nous y rendîmes, d’autant que la présence d’un prêtre ne pouvait que me faciliter mes relations avec ces anciens alliés de la France, qui ont toujours conservé pour les « robes noires » — c’est ainsi qu’ils appellent les missionnaires catholiques — la vénération la plus absolue.

INDIENS DE LA NOUVELLE-ÉCOSSE. — CLICHÉ DU MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR DU CANADA.

Le campement, situé dans une clairière, n’était composé que de quelques tentes coniques en écorce : de bouleau, autour desquelles erraient des enfants déguenillés. Aux roulottes près, l’ensemble ressemblait beaucoup aux haltes de nos bohémiens dans les bois.

Le premier « wigwam » où nous entrâmes, était occupé par deux ou trois vieilles qui eussent pu rivaliser, de laideur, avec les sorcières de Macbeth ; quelques hommes, misérablement vêtus à l’européenne, travaillaient. accroupis, à confectionner des paniers et des manches de haches. Tous ces gens étaient plus ou moins cuivrés, selon le degré de sang blanc qui coulait dans leurs veines, car l’Indien pur est, de nos jours, un oiseau rare

  1. Le Cap-Breton fait partie de la Nouvelle-Écosse, tandis que l’île du Prince Édouard forme à elle seule une province particulière.