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les plus abruptes avec une furie admirable. La route à travers les bois est très pittoresque ; Miré et la vallée de Catalogne, qui rappelle les plus beaux sites d’Écosse, mériteraient, à eux seuls, la peine du voyage. Quant à Louisbourg, c’est l’image même de la désolation ; à part quelques pans de murs qui se dressent encore vers le ciel, l’emplacement des fossés et des bastions de la citadelle, il ne reste que des pierres éparses de cette ville que Louis XIV avait fait construire de toutes pièces, au lendemain du traité d’Utrecht, pour tirer parti de ces îles désertes que nous avions conservées. La place que l’on croyait imprenable fut une première fois capturée, le 26 juin 1746, après un siège de quarante-sept jours, par une poignée de volontaires américains commandés par un riche négociant, William Pepperrell qui n’avait pas, jusque-là, autrement servi que dans la milice où il avait le gradé de colonel. Cette folle expédition, véritable croisade des puritains de la Nouvelle-Angleterre contre le papisme, réussit au delà de toute attente, grâce à la coopération d’une flotte anglaise aux ordres du commodore Warren.

CASEMATES RUINÉES DE LOUISBOURG.
CLICHÉ DE M L’ABBÉ DOUCET.

Deux ans plus tard, le traité d’Aix-la-Chapelle nous rendit l’Île Royale, mais à titre bien précaire, car, de nouveau, la guerre fut officiellement déclarée, en 1756, peu de temps après la prise de Beauséjour.

À cette époque, Louisbourg, principale ville de l’Île Royale et chef-lieu de l’Acadie française, avait une population d’environ 4 000 habitants ; les rues, assez régulières, étaient bordées de maisons de bois ; seuls, les édifices publics, tels que casernes, hôpital, couvent, hôtel du gouverneur, étaient en pierre.

Depuis la reprise de possession, le Cap-Breton avait bénéficié d’un fort contingent d’Acadiens fugitifs, plusieurs villages en avaient été formés, notamment à la Baie des Espagnols (Sydney) et l’ensemble de la population rurale atteignait environ 1 500 âmes.

Le matin du 16 juin 1758, une flotte anglaise de 159 vaisseaux, commandée par l’amiral Boscawen et portant Wolfe et son armée, apparut devant Louisbourg dont les forces consistaient dans une garnison d’à peine 3 000 hommes et de 11 vaisseaux de guerre qui s’étaient réfugiés dans le port. Après une résistance opiniâtre et avoir vu, à l’exception d’un seul, qui parvint à s’échapper, tous ses vaisseaux incendiés et coulés, le gouverneur, M. de Drucour, rendit la place le 26 juillet. Aux termes de la capitulation, la garnison se constituait prisonnière pour être conduite en Angleterre, les Îles Royale et Saint-Jean passaient dans le domaine de la couronne britannique, la population de la ville était transportée en France.

Ainsi fut fait, Louisbourg avait vécu ; abandonnée, même par ses vainqueurs, cette ruine achève de s’effondrer, solitaire, au sein des brumes hyperborées. Quelques casemates, croulant dans l’herbe où paissent des troupeaux, sont les derniers vestiges de ce Dunkerque de la Nouvelle-France, cité néfaste pour laquelle, vainement, on dépensa tant d’or et tant de sang.

Les habitants des îles espéraient un bon traitement de leurs nouveaux maîtres, ils ne tardèrent pas à être détrompés : tous les villages furent incendiés, les colons déportés ou contraints de se réfugier dans les bois. La grande persécution de 1755 recommençait trois ans plus tard. L’Acadie, cette fois, était morte, et ses enfants à jamais dispersés.

C’est bien toujours la forêt primitive, mais l’ombre de ses ramures, — abrite une autre race au langage étranger, — et les rares paysans qui languissent encore — sur les rives moroses du brumeux Atlantique, — sont les derniers Acadiens : leurs pères, las de l’exil, étaient revenus mourir sur la terre natale[1].
LE CAP NOIR (LOUISBOURG).
CLICHÉ DE L’AUTEUR. — DESSIN DE BERTEAULT.

Sur le rivage de Louisbourg, se profile l’historique Cap Noir, dont nous fîmes sauter la plus grande

  1. Traduit de Longfellow, Évangeline.