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suisse et sa prairie, ou le chalet des plages à bain de mer, j’épargnerai des récriminations et une désillusion certaines en leur conseillant de s’abstenir de ce voyage.

C’est, je le répète, un pays calciné, torride, sans ombre, presque sans végétation ; la chaleur y est suffocante si le vent souffle du sud ; si c’est le mistral, on est gelé soudain jusqu’à la moelle des os, tout en étant à la fois rôti par le soleil. Quant à faire l’excursion par un temps couvert, autant rester chez soi, c’est avec l’astre de feu au zénith qu’il faut voir le Midi. Les chemins sont des sentiers à pic, dont les cailloux déboulent sous les pas et arrachent les clous des souliers ; pour arriver simplement aux grottes, il faut monter de la sorte pendant une grande heure, enveloppé de cette fulgurante réverbération. Si l’on vous assure dans le village que c’est très facile et tout près, n’en croyez pas un mot ; c’est la « blague » méridionale qui parle. J’ajouterai, chose plus regrettable, que, malgré les protestations emphatiques des aubergistes, la punaise pullule dans les lits, et que la nourriture est exécrable ; cuisine à la graisse, cuisine à l’huile, et ragoût de chèvre. S’il n’y avait pas les truites pêchées dans l’Hérault, je ne sais trop ce qu’on mangerait. Je ne parle pas du service de la voirie ; les chiens en sont chargés, et le soleil dessèche ce qu’ils oublient. Il convient aussi de se méfier des scorpions qui, en certains endroits, fourmillent sous les cailloux ; en soulevant les pierres plates avec précaution, on découvre facilement ces petits monstres, dont le corps de bronze et la queue fourchue se contorsionnent avec fureur. Souvent encore c’est une vipère que l’on rencontre, reconnaissable à sa queue effilée, aux noires zébrures de son dos, à sa tête en fer de lance. Moins dangereux que ces bêtes empoisonnées et silencieuses sont les gros lézards verts diaprés d’émeraude, qui s’enfuient devant vous en froissant bruyamment les touffes de buis ; ne les acculez pas cependant dans quelque trou de rocher afin de vouloir les saisir, car ils se retourneraient alors avec vaillance contre vous, et ils sont de taille suffisamment respectable (le diamètre de leur corps atteint fort bien celui d’un bras d’homme), pour que leur morsure soit cruelle.

Le manger, le coucher et la propreté générale pourront s’améliorer ; c’est même à souhaiter vivement, mais longtemps encore Saint-Guilhem, inconnu de la locomotive, la « vache noire », comme on l’y nomme, pourra, je l’espère, s’appeler à bon droit « le Désert », défendu comme il l’est par son aspect rébarbatif et par son rude climat, contre la horde des badauds niais et criards qui, venus là pour n’y rien comprendre, en souilleraient la splendeur sublime.

Paul Gruyer.


GRANDE MURAILLE TERMINALE DU CIRQUE DE SAINT-GUILHEM. — DESSIN DE BOUDIER.