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caillouteux sentier qui s’accroche au flanc gauche du cirque, atteindre le sommet de la muraille terminale, d’où il gagne les crêtes de la Séranne.

C’est d’ailleurs une disposition géologique commune à cette région que celle de ces vallées aboutissant si bizarrement à un pan de roc. Telle est un peu plus loin la tombe de l’Arbousier, fermée aussi par un mur plus vertical encore ; telle est, dans un département voisin, la fontaine célèbre de Vaucluse. Car une source, plus ou moins puissante, plus ou moins mince, en naît toujours, alimentée par quelque rivière souterraine ; c’est un sol dont l’intérieur est profondément travaillé, et nulle part ne s’ouvrent plus de grottes et de cavernes. Saint-Guilhem en montre deux.

La plus belle est, paraît-il, la grotte du Sergent ; par malheur, elle est très souvent envahie par l’eau. Je la trouvai telle et ne pus la visiter ; on m’a montré des stalactites qui en venaient, et qui toutes offraient cette particularité qu’au lieu d’être blanches elles sont couleur terre-cuite. L’autre est la grotte du Cellier (Baume Cellier). Elle serait fort belle si elle n’avait pas été mutilée ni enfumée. Mais les bourgeois de Montpellier et de Clermont-l’Hérault ont cassé tant de morceaux de stalactites pour en orner leur jardin ou leur commode, que c’est une pitié de voir le massacre de ces merveilleuses sculptures de la nature : la résine de leurs torches, la suie des fagots qu’ils ont fait flamber ont noirci ce qui reste. La première salle dans laquelle on entre est curieuse d’éclairage, vue à contre-lumière, avec son ouverture sur l’azur du ciel, et les ombres que, dans ce filet de clarté, quelques fûts de stalagmites dessinent sur le sol. Plus loin, de fines colonnettes encadrent une sorte de bénitier plein d’eau ; puis c’est un bloc de rocher, tombé de la voûte, et qui, maintenu par deux autres, forme un pont naturel ; dans un autre endroit il faut passer à quatre pattes par une sorte de lucarne.

GROTTE DU CELLIER. — D’APRÈS UN CROQUIS DE L’AUTEUR.

Après Saint-Guilhem la route continue à suivre l’Hérault ; un large bassin maintenu par un barrage sert de réservoir au canal d’irrigation de la plaine d’Aniane, lequel, après avoir longtemps côtoyé dans les roches la rive gauche du fleuve, le traverse à l’entrée des gorges sur un pont d’une seule arche. Puis cette route abandonne la vallée, et ce n’est qu’au bout de quatorze kilomètres de désert que l’on atteint sur le sommet du Causse le premier village après Saint-Guilhem ; quatorze kilomètres sans un habitant, et toujours de ce sol aride, moucheté de rares buissons de chênes verts, si blanc qu’au clair de lune l’on dirait des plaines de neige.



Nous n’avons aujourd’hui touché qu’à un point de cette région qui étend au loin, vers les escarpements gris-perle de la Séranne, vers le Gard et vers l’Ardèche, ses paysages de pierre ; région peu explorée, plus belle, au sens large du mot, que sa voisine, aujourd’hui devenue célèbre et presque banale, des gorges du Tarn. Cette dernière n’est plus le Nord et n’est pas encore le Midi ; de cette dualité de climats naît une impression moins franche qu’ici. Ici surtout le roc est plus beau, plus marmoréen, tandis que dans la vallée du Tarn il offre un fâcheux aspect de carton-pâte, de roche artificielle, qui frappe désagréablement dans la classique descente en bateau de Sainte-Énimie au Rosier. Quant à la hauteur matérielle des blocs, quant à leur grosseur, ceux du cirque de Saint-Guilhem atteignent et dépassent les plus formidables.

Saint-Guilhem-le-Désert est peu connu ; l’on n’y vient guère que du versant méditerranéen, de Montpellier principalement dont c’est une des excursions ordinaires. Le baron Taylor, dans son grand ouvrage sur la France romantique, publié vers 1830, en a donné une description accompagnée à la mode du temps de mauvaises lithographies. L’âpre grandeur de ce pays est, d’ailleurs, peu susceptible de plaire à beaucoup de gens. À ceux qui veulent des arbres et de la verdure, à ceux qui ne comprennent que le lac