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Vie curieuse que celle de ces anciens monastères ; vie qui ne devait pas être sans charme dans sa liberté active, dans son détachement des soucis du monde, et sous ce ciel éternellement pur, pour lequel ce Franc avait fui les brumes du Nord, parce que sans doute dans son azur paradisiaque il voyait Dieu de plus près.

« Dans la charte de fondation, Guilhem n’allègue que les motifs communs à toutes ces fondations pieuses, la pensée de la vie à venir, et le désir d’expier ses fautes ; on n’y trouve aucun renseignement sur les circonstances qui firent choisir au comte de Toulouse, entre les nombreuses terres qu’il possédait en Septimanie, ce coin reculé des Cévennes, mais elles se conçoivent assez. Et l’on ne peut s’empêcher d’admirer avec quelle prévoyance, quel goût, ces grands fondateurs de monastères allaient chercher, dans les contrées les plus difficiles d’accès, les sites les plus beaux, satisfaisant ainsi à la sécurité nécessaire en ces époques de lutte, en même temps qu’au sentiment profond de poésie qui remplissait les âmes naïves et religieuses d’alors. Le site de la plupart de ces vieilles abbayes est tel, en effet, qu’aujourd’hui encore, parmi les jouissances les plus raffinées de la vie artiste que quelques-uns de nous se sont faite, à défaut d’une vie meilleure, et parce que le peu de religion qui survit en nous se réfugie dans l’art, nous n’en concevions pas de plus délicieuse que le séjour en ces cloîtres silencieux où nous retournerions en foule, par lassitude et par dégoût du reste, si nous avions autre chose à y apporter que nos ennuis et nos doutes »[1].

LES PÉNITENTS BLANCS. — DESSIN DE J. LAVÉE.

Il est juste d’ajouter que le plaisir de cette vie claustrale serait pour nous singulièrement gâté par les pénitences que chacun s’y devait imposer. Tous les jours Guilhem se faisait flageller par un autre moine ; l’hiver, avant de prendre l’Eucharistie, il se plongeait dans l’eau glaciale du fleuve, et une fois même, il ne craignit pas d’entrer dans le four brûlant où cuisaient les pains de la communauté.

L’heure de sa mort étant venue, Guilhem en eut le pressentiment ; il fit écrire à tous les monastères du royaume qu’il allait quitter cette vie, et la quitta, en effet, au jour indiqué. Au moment où il mourut, il se fit un bruit inaccoutumé dans toutes les églises des provinces environnantes ; toutes les cloches sonnèrent d’une manière extraordinaire, sans qu’aucun bras en tirât les cordes, et les hymnes des moines chantèrent :

  1. Renouvier. — Histoire des monuments du Bas-Languedoc.