Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 06.djvu/525

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Ouvrez, mes amis ! livrez vos murailles », mais en même temps il recourbait les doigts et serrait ses ongles vers le creux de sa main, voulant indiquer aux siens qu’il fallait tenir toujours. Guilhem, s’en étant aperçu, ne put retenir sa colère, et lui asséna un grand coup de poing, tout en admirant son stratagème. À quelque temps de là, Barcelone fut prise.

Ainsi s’exprime le vieux recueil des Historiens dans sa simplicité expressive et naïve.

À la suite de ces victoires, un ardent mysticisme s’empara du guerrier ; il chercha dans tous ses États le lieu le plus solitaire et le plus sauvage pour y bâtir un monastère ; c’est ici qu’il s’arrêta.

« Guilhem, à l’aspect de cette vallée, reconnaît que Dieu protège son projet, et se met à l’œuvre. Ayant appelé les maîtres ouvriers qu’il avait amenés avec lui, et tous les hommes sages de son comté, il donne les mesures de l’oratoire, du cloître, du dortoir, de l’infirmerie, de la salle des novices, du vestibule des hôtes, de l’hôpital pour les pauvres, du moulin, du pétrin et du four. Tous les plans bien disposés, il passe à l’exécution, distribue les ouvriers sous la direction d’artistes, et impose à chacun sa tâche et ses travaux. On commença par le chevet de l’église, parce qu’il est dit : « Tu t’occuperas d’abord de mon sanctuaire ». Guilhem posa lui-même la première pierre qu’il dédia au Sauveur ; les fondements furent ensuite bâtis, les murs élevés, le toit mis en place, et l’ouvrage achevé par le pavé de l’édifice, qui fut fait de marbre précieux. La dédicace de l’église fut ensuite célébrée, et Guilhem lui octroya de riches dotations, des terres, des serviteurs nombreux, de l’or, de l’argent, du gros et du menu bétail.

La charte de fondation, conservée, est de l’an 804.

De retour à la Cour de Charlemagne, il n’obtint pas sans difficultés la permission de déposer l’épée et de retourner à jamais vivre dans le monastère qu’il avait fondé, car il était un des plus solides soutiens de la couronne.

« Reste parmi nous, lui disaient ses compagnons d’armes ; repose-toi dans la richesse et dans la gloire. En te retirant, tu abandonnes l’Empereur, et compromets l’empire. Si tu veux quand même te donner à Dieu, ne peux-tu pas le trouver partout ? »

ABSIDE DE L’ÉGLISE DE SAINT-GUILHEM. (PAGE 524.)
PHOTOGRAPHIE DE L’AUTEUR.

Et lui leur répondait :

« La richesse et la gloire sont biens périssables ; laissez-moi aller là où est la lumière et la vie… »

L’Empereur, voyant sa résolution inébranlable, lui fit présent d’un morceau du bois de la vraie Croix et d’un autel de pierre pour son église ; puis il l’embrassa en pleurant, et lui dit adieu.

Guilhem retraversa donc toute la France, emportant avec lui les deux précieux cadeaux, dont l’un ne devait pas laisser de peser un certain poids, semant l’aumône sur son chemin, rachetant des esclaves ; à Brioude, en Auvergne, il consacra à Dieu son épée à deux tranchants, un javelot, son carquois et son arc ; sur le tombeau du martyr saint Julien, il déposa sa cuirasse et son bouclier. Arrivé à Lodève, il revêtit un cilice de crin, et marcha pieds nus ; ses moines vinrent au-devant de lui, en procession, et, portant sur son dos l’autel que lui avait donné Charlemagne, il entra de la sorte au monastère, sur les dalles duquel il resta deux heures, à plat ventre, les bras en croix, adorant Dieu. Le jour des Apôtres Pierre et Paul, l’an 806, il dépouilla définitivement ses vêtements laïques, revêtit la robe noire de l’Ordre, coupa sa noble chevelure et sa barbe.

Ainsi se terminèrent les jours de ce guerrier, au milieu de ces grandioses solitudes, dignes de lui. Avec tous les moines il travaillait aux travaux manuels de la communauté, tantôt boulanger et cuisinier, tantôt plantant des oliviers, ou traçant des routes.

« Nous l’avons rencontré souvent, écrit un contemporain, poussant devant lui son âne chargé des amphores pleines d’eau qu’il amenait à ses frères pour les désaltérer, quand ils se livraient à la culture de la terre pendant la chaleur de l’été. »