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Le Toucher doit en effet communiquer à l’exécution de chacun cette fluidité qui caractérise le jeu des musiciens de race. Le musicien voit des effluves de notes, s’entremêlant, se heurtant, s’attirant là où le profane voit les notes disparaître aussitôt qu’il les a entendu vibrer, sans se douter des poèmes évoques par elles chez le musicien dont les perceptions sont spéciales.

Ce sont les perceptions du musicien qu’on s’applique à enseigner dans l’art du toucher, parce que, en enseignant avec une pénétration approfondie le moindre détail de la structure musicale, on fait voir à l’élève, comme à travers une loupe, une infinité de détails qu’il ne voyait pas. On lui apprend de même à reproduire sur le clavier ces détails importants qu’il ne percevait pas.

C’est dans ce but que le Toucher établit cette séparation absolue entre le travaillait soi-disant à la loupe, et l’exécution, sa résultante qui est une espèce de révélation pour celui même qui l’obtient, car a son insu on lui a fait faire œuvre d’artiste parce qu’on l’a fait travailler avec une précision féconde au point de vue esthétique.

Comment la précision peut-elle créer autre chose qu’une mécanique parfaite ? demandera-t-on. Elle le peut, car à travers cet enseignement si minutieusement détaillé, les doigts, dans la façon de se mouvoir, reproduisent sous une forme visible l’expression musicale transmise aux notes.

Comme la volonté intelligente du chef d’orchestre vivifie par des mouvements pour ainsi dire suggestifs, des exécutants médiocres, et leur transmet une expressivité dont ils n’avaient aucune notion, de mème l’enseignement du Toucher permet à chacun de transmettre, par sa volonté, des mouvements suggestifs à ses doigts, leur communiquant une éloquence naturelle qui n’a rien de factice ou de mécanique.

Mais on ne saurait jamais assez relever le fait que c’est chose toute différente :

Io. d’acquérir par le travail fait à la loupe ces qualités suggestives ;

IIo. d’en faire valoir la musicalité par l’exécution.

Dans le 1er. cas, c’est le cerveau qui, grâce à l’excessive lenteur de l’étude, communique aux doigts une véritable science du mouvement dans laquelle le moindre détail a une importance artistique à l’insu même de l’élève qui s’applique a le réaliser.

Dans le 2d. cas, grâce à la grande augmentation de la rapidité dans l’exécution, la foule des petits détails communiques aux mouvements des doigts agissent avec une cohésion telle que les doigts, devenus en quelque sorte de vrais artistes, initient le cerveau, à travers leur expressivité, à la beauté esthétique de l’art.