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À ce jeune passé qui vit nos deux aurores,
À la lutte, à l’orage, aux arènes sonores,
À l’art nouveau qui s’offre, au peuple criant Oui,
J’écoute ce grand vent sublime évanoui.

Fils de la Grèce antique et de la jeune France,
Ton fier respect des morts fut rempli d’espérance ;
Jamais tu ne fermas les yeux à l’avenir.
Mage à Thèbes, druide au pied du noir menhir,
Flamine aux bords du Tibre, et brahme aux bords du Gange,
Mettant sur l’arc du dieu la flèche de l’archange,
D’Achille et de Roland hantant les deux chevets,
Forgeur mystérieux et puissant, tu savais
Tordre tous les rayons dans une seule flamme ;
Le couchant rencontrait l’aurore dans ton âme ;
Hier croisait Demain dans ton fécond cerveau ;
Tu sacrais le vieil art, aïeul de l’art nouveau ;
Tu comprenais qu’il faut, lorsqu’une âme inconnue
Parle au peuple, envolée en éclairs dans la nue.
L’écouter, l’accepter, l’aimer, ouvrir les cœurs ;
Calme, tu dédaignais l’effort vil des moqueurs
Ecumant sur Eschyle et bavant sur Shakspeare ;
Tu savais que ce siècle a son air qu’il respire,
Et que, l’art ne marchant qu’en se transfigurant,
C’est embellir le beau que d’y joindre le grand.
Et l’on t’a vu pousser d’illustres cris de joie
Quand le drame a saisi Paris comme une proie.
Quand l’antique hiver fut chassé par Floréal,
Quand l’astre inattendu’ du moderne idéal