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THÉÂTRE DE LA RÉVOLUTION

play, la voix cordiale de votre mère, votre main, Éléonore, tendue vers moi avec un sourire fraternel, tant de loyale affection, me font connaître le bien le plus inappréciable, le plus rare, oh ! le bien dont je manque le plus et dont j’ai le plus besoin !

ÉLÉONORE.

Quel bien ?

ROBESPIERRE.

La confiance.

ÉLÉONORE.

Vous vous défiez de quelqu’un ?

ROBESPIERRE.

Je me défie de tous les hommes. Je lis le mensonge dans les regards, je vois la ruse embusquée sous les protestations. Leurs yeux, leur bouche, leurs serrements de main, leur corps tout entier ment. Le soupçon empoisonne toutes mes pensées. J’étais fait pour des sentiments plus doux. J’aime les hommes, je voudrais croire en eux. Mais comment y croire encore, quand on les voit, comme moi, chaque jour, se parjurer dix fois, se vendre, vendre leurs amis, vendre leurs armées, vendre leur patrie, par crainte, par ambition, par débauche, par malfaisance ? J’ai vu trahir Mirabeau, Lafayette, Dumouriez, Custine, le roi, les aristocrates, les Girondins, les Hébertistes. Les troupes auraient livré vingt fois la patrie envahie, si elles n’avaient senti constamment derrière leur dos l’ombre de la guillotine. Les trois-quarts de la Convention conspirent contre la Convention. Les vices sont à la gêne sous la discipline héroïque que la Révolution leur impose. Ils n’osent attaquer de front la vertu ; ils se masquent de pitié, de clémence, pour tromper l’opinion, l’émouvoir en faveur des scélérats, l’exciter contre les patriotes. J’arracherai les masques, je forcerai l’Assemblée à voir ce qu’ils recouvrent : la face hideuse de la trahison ; j’obligerai les complices déguisés des conspirateurs à les condamner avec moi, ou à périr avec eux : la République vaincra. Mais, ô Dieu ! parmi combien de ruines !