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DANTON

tre toutes les chances de votre côté. Eh bien, pour partir en guerre, ce n’est pas assez, — (que Camille me pardonne !) — ce n’est pas assez de la plume de Desmoulins. Le peuple ne lit point. Le succès du Vieux Cordelier vous fait illusion ; il ne pénètre pas la foule ; son public est tout autre. Tu le sais bien, Camille ; tu te plaignais toi-même qu’un de tes numéros eût été vendu vingt sous par l’éditeur : ce sont les aristocrates comme nous qui l’achètent ; le peuple n’en connaît rien que ce que ses orateurs des clubs lui en disent : ils ne sont pas pour toi. Tu as beau hausser le ton et meubler ta mémoire d’expressions des halles, tu ne seras jamais du peuple. Il n’y a qu’un moyen d’agir sur lui, c’est d’y jeter Danton. Son tonnerre est seul capable de remuer ce lourd chaos humain. Danton n’a qu’à secouer sa crinière, pour soulever le Forum. Mais Danton s’abandonne, il s’endort, il s’éloigne de Paris ; il ne parle pas à la Convention. On ne sait ce qu’il devient. Qui l’a vu ces temps derniers ? Où est-il ? Que fait-il ?

Danton entre avec Westermann.



Scène II

LES MÊMES, DANTON, WESTERMANN
DANTON.

Danton ribote. Danton caresse les filles. Danton se repose de ses travaux par d’autres travaux, comme Hercule !

Desmoulins va au-devant de Danton et lui serre ta main en riant. Westermann reste à l’écart, et garde un air soucieux.
CAMILLE.

Hercule ne jette point sa massue, tant qu’il reste des monstres à tuer.

DANTON.

Ne parle pas de tuer ! Ce mot me fait horreur. La France fume de sang ; l’odeur de la viande égorgée monte de terre comme d’une boucherie. Je viens de traverser la Seine ; le soleil se couchait : la Seine était rouge : elle semblait rou-