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permettre la moindre correction. J’avoue volontiers qu’au début surtout j’ai été un peu trop scrupuleux peut-être, craignant quelquefois de rétablir un nom propre évidemment erronné ou respectant en général une ponctuation extrêmement négligée, qui pour sûr ne pouvait être du fait de l’auteur, mais qui devait plutôt être attribuée à la nonchalance du copiste ; qu’on me pardonne ce scrupule, il est dû à mon respect de la forme choisie par le profond penseur dont j’ai le bonheur de reproduire l’œuvre.

Une seule chose me reste encore à faire, un seul engagement à remplir. J’ai dit dans mon prospectus que, tout en souscrivant généralement aux raisonnements du Curé Meslier, je ne désirais pas prôner mon auteur comme arbitre souverain de la vérité, mais que moi-même j’avais trouvé dans son ouvrage des endroits que je pensais réfuter ; je ne veux pas terminer cette préface avant d’avoir éclairci ces paroles.

Si en général on doit considérer l’homme et ses œuvres comme le produit de leur temps et du cercle d’idées au milieu duquel ils se sont développés, Meslier et son Testament demandent spécialement à être jugés de ce point de vue. Les isoler serait une acte d’injustice, si ce n’est de démence.

Meslier fut fait curé au temps des dragonnades, six ans après que Louis XIV eût rendu son fameux édit contre les magiciens, et trois ans après l’infâme révocation de l’édit de Nantes par le même monarque. Jeune, il avait pris des engagements dont il ne connaissait pas la portée ; depuis ce temps, il était resté cloué pour sa vie au bagne du monde intellectuel ; il avait dû cesser d’être homme pour ne devenir que machine ; ses actions, ses paroles, ses pensées ne lui apartenaient plus ; — l’Église, le droit du plus fort par le mensonge et l’hypocrisie, avait à vivre en lui, à parler de lui, à agir par lui ; sa conscience ? — il était sommé de ne connaître que la volonté de ses supérieurs ! sa volonté ? — la volonté de ses supérieurs ! ses amours, ses amitiés, ses aspirations, ses sentimens généreux, son intelli-