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LAISSE-MOI T’AIMER.


Toi, qui m’as seul aimée, écoute : si tu changes,
Je te pardonnerai sans t’imiter jamais ;
Car, de cet amour vrai dont s’adorent les anges,
Je sens que je t’aimais !

Et sans ton cœur, mon cœur comme un poids inutile,
Tel qu’en ce froid cadran palpite un plomb mobile,
De la nuit à l’aurore, et de l’aurore au soir,
Battra jusqu’au tombeau sans joie et sans espoir !
Et, j’en demande à Dieu pardon plus qu’à toi-même,
Je ne veux pas revivre où l’on dit que l’on aime,
Si tu dois y venir pour une autre que moi,
Et si Dieu m’y destine un autre ange que toi !

Le néant me plaît mieux ; son horreur me soulage ;
Te voir, ou ne rien voir ! hors toi, ne rien sentir ;
De toi, dont sur mes sens il imprima l’image,
Dieu me doit d’être aimée ou de m’anéantir.

Tu n’y peux rien changer. Ma vie est ton partage.
Jamais je ne t’ai vu sans t’aimer davantage ;
Et jamais, plus rêveuse en te quittant le soir,
Sans pâlir dans l’effroi de ne te plus revoir !

C’est que Dieu pour nos jours n’alluma point deux flammes
C’est qu’un même baiser fit éclore deux ames ;
Que partout où je passe en appelant ta main,
Le doux poids de tes pieds a creusé mon chemin.