PREMIÈRE ANNÉE. — No 2. 15 Centimes. DU 15 AU 22 c~~°Q~~E 1886.
GUSTAVE KAHN
B>lr « eteur.
JEAN MORÉAS 1 “ HéiMlcar « m efcer.
PAUL ADAM.
Secrétaire 4 » 1 » Réd » t>tlon.
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I. M. Gustave Kahn : Difficulté de vivre.
II. M. Plowert : Parenthèses et Incidences.
III. M. Paul Verlaine : Bouquet à Marie.
IV. M. Charles Vignier : Hamlet.
V. M. Jules Laforgue : Bobo.
VI. M. Jean Ajalbert : Parallèles d’Horizontales.
VII. M. Félix-Fénéon : Le Musée du Luxembourg.
VIII. M. Selwyn : Louise Leclercq, de M. Paul Verlaine.
Vivre ce serait, dans un progressif et continu dévelop- pement de sa force, entouré d’heureuses suggestion » des choses, élisant des nuisibles l’utile, des inlubitoires tes ttpuir- moqéniques, se développer en soi pour le bien de la collée— 1 tivifé savant, de découvrir des voies, ou d’ajouter quelques pas sûrs à la marche lente des idées, à la marche geêle des expériences ; artiste, d’enrichir le trop mince répertoire d’images* ou de milieux de rôles, où viendront les futurs rêveurs s’uveiitcr pour tous deux, le ptus^ possible, ra- mener l’inconscient au conscient, le consolant au divulgué ; pour les humbles privés d’active eôrébr alité, préparer les futures éclosions par les bonnes semailles et les intelligentos cultures ; et pour que ceci ne soit interdit, tous rechercher dans la solidarité que préaberont les évangiles et les mé- thodes de temps proches, la vie harmonique, les exactes élégances et la santé sereine ide l’absence d’habitudes hé- bétantes ou de monomane.
Des devoirs seuls ceux-ci subsistent et leurs corollaires obligations, car ce qui est besogne de la. vie et pour la vie n’est que du triste attirail des condamnés à geindre, à jouir, à dormir » n’est rien de plus que le demain ordonné par le semblable hier, le travail nécessité par l’impérieux tub digestif, et, plus ou moins exigeant, plus ou moins dévoyé vers d’inutiles opulences, le souci du manteau où rouler sa fatigue, pour après de brèves heures horizontales, un peu moins las » recommencer.
Vivre n’est vivre que quand créer ou préparer la création. Le reste est seulement être comme la pierre ou végéter comme la plante. Parfois l’illusion de l’existence s’éveille en ceux qui conduisent les nécessiteux^ ou expé- dient leurs affaires, et ces chefs peuvent, dans des conjonc- tures à des minutes, ayant choisi entre deux chemins, se flatter d’avoir, pionniers, débarrassé une route infrégaMilêe. Ainsi peuvent errer celles qui grandirent belles ; des aimants de leurs lèvres et du faussement mobile ciel de leurs yeux étant les fantasmagories aux variances cruelles vers où se dirigent les races inoccupées et les défaillances des vrais vivants. Et diront ceux-ci qu’à mainte minute, elles dé- passèrent cette vie organique, furent l’attitude et le rythme et le mouvement que la voix évoqua des lointains (phonographe d’un plus pur métal des paroles héréditaires), statues plus parées que les rêves anciens, ensembles plus vastes, sonores et pompeux que les combinaisons de l’étendue et du temps. Mais n’importe, elles n’y sont pour tien, et c’est le leurre de notre inconscient pressé de se gîter dans un milieu de joie, et dont nous ne fûmes pas an- térieurement d’assez habiles conducteurs. Se tenir comme sur un autel, être la pierre militaire d’un célèbre carre- tour, ou dominer de la parole qui ne sait l’entendre est en- core végéter.
Pour la vie d’un ordre supérieur, l’actuelle ambiance est- elle idoine â ce que librement se ramifient en des actes les facultés nécessaires ? Sans ressasser les classiques martyrologes, redire les attnée » d’incognito, la pauvreté presque rrAnAralo des théoriciens, écrivains, artistes de la ligne. cherchons pour, eux dans la ville où se recueillir. Le chez-soi, presque toujours trop bas ou trop haut, les fenêtres ajourées sur des cours froides d’où les heures vagues l’on est exclu par des malaises de choses ; et si peu de livres du passé qui seraient coffret recélant pour un regard quelques précieuses minutes. ou flacon l’instant d’un parfum qui se jouerait en quelques heures ; si rare le bibelot amusant, si singulière l’œuvre d’art dont orner le mur. inédites encore celles qui feraient trou dans ta paroi, apportant dans le rêve familier et consanguin, le symbole d’une fuite dans l’espace ou la légende. Impossible la compagne qui serait, à ce logis, le mouvement habituel et agréable, car la divergence n’est pas réductible entre le chercheur et lafemme atténue aux sourds passés, à la longue habitude des ruses et des vengeances de petite esclave, être qui n’a pas su la liberté, et comme tous les nourris, rancunière envers la main dispensatrice ; —puis où même chercher parmi l’errante tribu des êtres désorUilés dont la communauté s’explique par une trop banale ascension vers les piètres* luxes. et dans d’autres catégories que d’orgueils et de défiances mat semés contre les non-contents de l’allure purement digestive des illusoires réalités.
Donc le logis banal. aux murs maigrement excusé », et refuge hors lui la ville, e’est-àTdire Je grouillant des rues et des places, lieux de repos, des cafés, c’est-a-dire’des 1 fi&ux. d’occupation à vide, décevants comme le tabac, la vulgaire musique, le passage réitéré de semblables efS^ gics en ces lieux monotones, des blaacs, des rougos, des ors géhennant jusqu’à l’hypnotisation partielle l’individu implacablement assis et quoique volontairement prisonnier^ l’as de musiques qu*à de seuls endroits, où pâle-mêlent tes accords et les sifflotements mortels de fausse et gras- seyante admiration, le concert, cette apothéose des ridicules féminins. Partout ailleurs l’énervant rythme banal, l’histoire de femmes mimée, chantée, dialoguée et redialoguée, pailletée d’ahurissements charentonesquns ou brodée de fades expirances en rimes monogames toujours et l’histoire, et le décor, et le rythme de ce qui s’automatise chez M. ou Mme On tel qui végètent. O&nc point de refuge où vont les pas. l’ennui d’hier s’ajourne au demain, l’ennui et la monotonie engendrés sans cesse aux cerveaux par le gris et la queue leu-leu des choses.
Passage, male destinée pour l’élite, les circonstances sont-elles d’autant meilleures pour l’ordinaire masse ?
Les aristocraties s’en sont allées, et leurs descendants n’ont plus que les armes, la chasse et le cheval, passe-temps.
La bourgeoisie s’est constituée, tumeur, englandant les articulations vives d’une maladive immobilisation du capi- tal constituant une puissance, elle légifère les affaires, et impose les conduites par te tact et te bon goût. Son triomphe est la stagnation. SOus l’étiquette fallace d’une religion ou d’une libre pensée tout égales d’intolérances codifiées d’après les pires polygraphes, elle a fondu tous ses dogmes en des degrés divers de conservatisme ; si l’on fronde et décléricalise, ce n’est guère sérieux, toujours et partout le Vollaire- Touquet (ce superbe accouplement de noms propres), toujours l’âme de Béranger. De là, des affaires faciles ou difficiles d’un certain bon tonde ne rien prendre au sérieux x hors les intérêts financiers, une sorte de tenue de la loquacité, des plaisanteries perpétuelles et anodine » . A quelque I art neuf, à quelque théorie, le sourire faux de ceux qui sentent qu’en culbutant leur musique on frappe leur morale, en détruisant leurs vers on sape rétablissement des tradiditions propriétaires. L’égoïsme Collectif s’appelle individualisme ; et cette bourgeoisie par où, comment la convertir ? Les livres l ils ne lisent pu ; les spectacles, gardé* par les prix, sont exclusivement faits d’après des patrons adaptés par leur consentement. Rien à attendre que du lent infiltrage des temps, du progrès relatif d’une génération sur l’autre. Voyez leurs œuvres actuellement aimées, sous condition d’être identiques aux précédentes, leurs constructions banales ou bibelotes et en tout et partout la haine de l’effort nouveau.
Reste ce que les démocraties nous apportent, ce que ses protagonistes nous présentent comme le fort, l’intègre et le généraux, ouvert à toutes sensations.’te populaire. Les révolutions qui abolirent le serf, créèrent le mercenaire, qui n’est que le serf actuel de la bourgeoisie, car si, théoriquement, tous les droits sont les siens, pratiquement, il doit demeurer où le tiennent les exigences de sa vie, et pour gagner et conserver le nécessaire à vivre, le lendemain obéir ; pour lui pour ptus que tout autre le demain est l’esclave d’hier. Se sentant la force, mais timide encore sous le poids des ordres anciens et réitérés, enroutiné de servitude et d’habitudes d’au Jour le jour, et de similaires plaisirs, l’alcool, le tabac, la noce, tout ce qui fait passer une heure.
Et quel autre serait son but, sa vie de tous les jours étant maintenue en de toujours semblables et tenantes occupa- tions, à lui, forcé de chercher de bonne heure le repos pour tes recommencer ? quelques heures à peine lui restent pour se nourrir, et le repos nécessaire aux organes absorbe tout le temps où ceux-ci ne sont pas en activité. Sa liberté peu fréquente s’ébat aux verdures comme en garrulements d’oiseaux domestiques ou roulades d’animaux lâchés. Ses soirs sont la suppression de la vie générale dans quelque coin de petit café, parfois d’énormes halles où roule hoquetant le bruit des billards, où hurlent les raucités d’orgues spéciaux aux sons de cuivrq jetant d’affolantes musiques, l’alimentation chimique détruit de jour en jour ses forces. Les tristesses de ces maisons à cours d’enfilée noire, où grouillent des centaines d’habitant », les quartiers sans air, les tristesses des monotones descentes au travait machinal, et vers les quartiers aux maisons opulentes et maussades, le défilé des déshérités. De par le quotidien de son passage le populaire a pris la coutume de vivre digestivement et qui le tirera de ce malheureux et indifférent état ?
Le moment n’est donc pas prochain où ces classes entreront dans l’initiative de la vie’celui non plus où la conscience arriverait à pleine possession d’elle-même, délassée de ses anciennes maladies, encouragée par de longs tâtonnements à revivre un jour d’attentivo jeunesse. Que sera ce matin ? Sans doute un éveil libre de la Science, maintenant garrottée d’Instituts, bâtonnée d’officiantes, laurée de bonne conduite et prise à bail par le Capital. « La Science marche trop lentement pour nous, » disait Arthur Rimbaud ce nous dit par l’artiste préoccupé de ses. moyens d’expression, est vrai pour l’universel vivre. C’est elle qui résoudra les questions sociales, les dangers des agglomérations’, fera propice au plus grand nombre l’allatieo des jours, et sera— rorgane distributeur des capitaux. Elle ralliera à ses besognes les êtres quelque peu d’exception incapables du grand rêve et trop hauts pour le banal amas d’argent. Elle sera la directrice du jour où elle régira elle-même ses découvertes. actuellement monopolisées.
Alors des arts décoratifs créés, un’art libre continuant à s’ériger, peut être un art intégral. un spectacle trouvé, il sera loisible au vivant d’entourer son désert de livrer, d’albums, de tromper perpétuellement le leurre tenace des horizons.
Le jour où seront trouvées ces choses, d’amples effusions de beauté répandues dans te menu détail et dans les grandes lignes des cités, le rêve, plus conscient et moins paralysé des-étouffantes laideurs, produira les œuvres né- cessaires et attendues.
Gustave Kahn.
Belges. – Dans une peu révélatrice discussion du manifeste littéraire publié dans le Figaro,’t Art mo- derne de Bruxelles (n* du 3 au 10 octobre) intercale cet aveu « Nous comprenons très imparfaite ment. Infir- mité, sans doute. » On ne saurait mieux dire infir- mité, oh, sans aucun doutr – car l’article de M. Jean