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Le laboureur lassé t’adore en sa chaumière,
Auprès de ses grands bœufs, artisans des sillons ;
L’ouvrier te bénit en fermant sa paupière,
Et le pauvre oublieux s’endort dans ses haillons.

En tous lieux tu répands la force avec la joie :
Des heureux les plaisirs, par toi, sont immortels,
Et les amants rêveurs sur leur couche de soie,
Comme à la volupté, t’ont dressé des autels !…

Pour moi seul, nuit cruelle, ô nuit impitoyable !
Tu n’as pas la douceur des paisibles sommeils.
Et mon cœur reste en proie au tourment qui l’accable,
Soit que meurent les soirs ou naissent les soleils…

Et cependant, je t’aime, ô nuit silencieuse !…
Loin des hommes jaloux et des bruits importuns,
O nuit ! j’écoute en moi ta voix harmonieuse,
Et de tes vents sacrés j’aspire les parfums…

Ma vie est comme un vase empli de lie amère ;
Les tumultes humains en ont troublé les flots ;
Mais, la nuit, tout s’épure, et la fange grossière,
Redescendue au fond, ne souille plus les eaux.

O nuit, m’affranchissant du sillon mercenaire
Où le penseur se courbe au dur labeur du jour,
Tu délivres enfin mon âme prisonnière…
Dis, n’es-tu pas la Muse, et n’es-tu pas l’amour ?…

Vivre en toi, c’est aimer, c’est espérer, c’est croire,
C’est prier, c’est ouvrir son vol vers le vrai beau…
Pendant qu’autour de nous s’épaissit l’ombre noire,
L’âme, œil intérieur, voit le divin flambeau !…