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42 LE SYLPHE LA PETITE BLONDE SOUVENIR DÉ VACANCES A Joannès Max. Par ma foi, elle est charmante! avons-nous dit souvent tous les deux d'un commun accord en la voyant passer le matin sous la verte et ombreuse allée des platanes. Et, de fait, elle était charmante ! Pour moi, quand je l'apercevais de loin, légère et rosée dans sa demi-toilette matinale, je ne pouvais, je l'avoue, réprimer un secret mouvement de plaisir. Il se produisait en moi une sorte de bouleversement délicieux, et je me sentais ému comme si j'avais été tout d'un coup transporté au milieu d'un poème de Théophile Gautier, ou devant un tableau d'Hébert. Nous l'appelions joyeusement entre nous : « la petite blonde » et, dans nos gambades et nos courses à travers champs, elle était presque toujours le thème de notre conversation, voire même de nos confidences. Insouciants et rieurs comme de véritables écoliers en vacances, nous ne songions guère alors aux pions rébarbatifs du Lycée, ou aux adjudants incorruptibles de l'école des Arts et Métiers. II nous suffisait, pour nous rendre joyeux toute une journée, de la rencontrer sur la grande route et de la saluer gaîment. Bien que nous ne fussions pour rien dans cette sorte de rêverie langoureuse qui semblait quelquefois l'envahir, nous aimions à la voir songer ainsi, comme si elle eut médité une maxime de YArt d'aimer. Elle avait, j'en suis sûr, été atteinte de « La flèche d'or d'Eros » et son cœur saignait de cette douce blessure à laquelle personne ici-bas ne doit échapper. A qui songeait-elle ainsi , mélancoliquement ? — Problème profond et intime dont j'ignore la solution. Mais, en revanche, je connais plus d'un «joyeux escholier » qui s'est plu maintes fois, pendant ses trop rares heures de «farniente » à évoquer dans ses souvenirs l'image de « la petite blonde ». Maintenant, dans le monotone village où nous avons, malgré tout, passé tant d'heureux jours, elle continue à rêver de temps à autre en foulant de son pas léger et distrait la poussière de la grande route; et nous qui l'admirions jadis, nous voilà lancés dans le « vaste monde » où, insouciants et ingrats, nous allons l'oublier peu à peu.