Page:Le Sylphe - Poésies des poètes du Dauphiné, tome 1, 1887.djvu/218

Cette page n’a pas encore été corrigée

20 LE SYLPHE sabre et ces cliquetis d'éperons!... — « Ah! dit-il, que je voudrais donc faire campagne; ces parades me rendent triste jusqu'à la mort. » — Pfeu, pfeu... chante le vent mélancolique dans les longs corridors des casernes. Guerre, guerre! — Quelle campagne! il marche avec peine dans des terres labourées, reste immobile et caché, même au feu. pendant des heures, perdu et flottant aux hasards tumultueux de la bataille. — Il a le bonheur d'assister à une affaire et d'être blessé par une balle ennemie. — Il est décoré; puis il est nommé officier supérieur. — Pfeu, pfeu... chante le vent mélancolique à travers les baïonnettes penchées et les drapeaux frissonnants. On lui donne sa retraite, sur sa demande. Il s'est retiré dans ce même village de tout à l'heure, au fond de la même lointaine province. Assis devant ses treilles, il boit à petits coups le vin de Claix, en lançant des bouffées de fumée claire. — Le bois est rouillé par l'automne maintenant, la montagne est toujours dorée par le soleil dans l'horizon vaporeux, et toujours le ruisseau mur mure sa chanson éternelle dans son lit de frais galets... — Pfeu, pfeu... chante le vent mélancolique dans les noyers grimaçants et courbés.

Un soir, il meurt, le vieil officier. — Pour lui faire honneur, on l'enterre à la Ville, et les fanfares funèbres résonnent autour de son cercueil. — Son épée et sa décoration brillent sur le drap noir, à côté d'une grande croix blanche. Le Dies ira;, hymne sombre et désespéré, retentit sous les voûtes de Notre-Dame; une foule indifférente se presse dans l'église, et les chantres nasil lent, et les enfants de chœur se font des signes, pendant que sanglote quelque vieux parent... — Pfeu, pfeu... chante le vent mélancolique dans les plis des draperies sinistres, lamées de pleurs d'argent. Grenoble, décembre 1886. Léo NORE.