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14 LE SYLPHE déchirements de la séparation, sans avoir la fierté de la lutte. Elle allait rester isolée, toujours absorbée dans le souvenir de l'absent, toujours à mon sujet plongée dans l'inquiétude et dans l'angoisse. — Où est-il aujourd'hui ! Peut-être est-il blessé ! Peut-être à cette heure est-il mort ? — Toutes ces craintes, toutes ces tortures, elle les a acceptées sans hésitation. Oh ! vous ne pouvez savoir combien elle était noble au fond, com bien elle était grande ! Le jour où je lui ai confié ma résolution, elle me dit — et ses paroles sont là, gravées ineffaçablement dans mon cœur, — « Je t'avais devine, mon doux ami : va, puisque nous cherchions un moyen de mettre quelque chose de grand et de sublime dans notre amour. Je ne veux pas t'empêcher de partir, car c'est d'abord pour la générosité et la chevalerie de ton âme que je t'ai aimé et que je suis devenue tienne. Va donc, mon héros, et quand tu auras rempli ton devoir envers la France, quand vous l'aurez tous sauvée, tu reviendras vers l'amante, tu reviendras vers... » Elle ne put achever, éclatant en sanglots, et se laissant tomber dans mes bras, écrasée de douleur et d'amour. Pourtant, deux jours après, elle avait le courage de me dire adieu... et mainte nant, elle ne me reverra plus ! Le blessé s'arrêta un moment, comme suffoqué par l'émotion, et moi, inondé de pitié, je restais sans rien dire, n'osant ni les louer, à cause de la faute, ni les condamner, à cause du sacrifice. — Elle ne me reverra plus, reprit-il, mais au moins, qu'elle sache où je suis mort, et comment je suis mort; qu'elle reçoive de vous ces lettres, les siennes si longtemps restées près de moi et tout imprégnées de mes larmes, et la mienne, celle que je lui ai écrite hier soir, pressentant qu'aujourd'hui j'allais être irrévocablement séparé d'elle. Vous les lui porterez, n'est-ce pas, Monsieur ; vous ne laisserez pas toucher à des mains indiscrètes et profanes ce papier où pleure une tendresse mystérieuse et profonde. Une de ces lettres égarée pourrait la perdre à jamais : portez-les lui donc, pour assurer son bonheur et sa vie, autant que pour lui donner une suprême consolation. — Je vous plains tous les deux, et de toute mon âme, répondis- je ; mais il ne m'est pas permis de lui remettre cette correspon dance. Il m'est défendu à moi, prêtre du Dieu de pureté, de lui transmettre ces débris d'une faute impure. . Quand vous avez eu vous-même l'héroïsme de briser de coupables liens, dois-je, en les renouant pour ainsi dire, renou veler de coupables regrets ? mais le devoir ne m'interdit pas d'écarter d'elle tout danger : donnez-moi donc ces lettres, puisque vous vous confiez à ma loyauté, et je les brûlerai, en pleurant sur les pauvres amants qui les ont écrites, et en