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LE SYLPHE Il semblait, se dressant au milieu des ruines, Regarder, inquiet, par dessus les collines. Le troisième à ses flancs portait comme un oiseau Deux ailes, et son corps, sous les coups du ciseau, Avait pris l'attitude humble de la prière Et rayonnait, tout blanc dans l'éclat de la pierre. Le Cheik, s'étant levé pour observer les cieux, La nuit, les entendit qui se parlaient entre eux. Le premier dit : J'ai l'âge et la force du monde, Je couvre deux arpents de mon ombre féconde, On me craint : le chacal au museau de renard Fuit à ma vue ainsi que l'Arabe pillard, Et le désert me fait, au fort de sa tourmente, Avec son sable un socle à la base puissante. Des siècles je suis roi : je connais le passé, Mais d'avoir tant vécu tout mon corps est lassé! Le second, dans la nuit, reprenant la parole, Dit : Moi, je suis semblable à l'aigle qui s'envole Des plaines jusqu'aux monts; je sais sous quelle main Dans l'espace et le temps tourbillonne l'essaim Des mondes inconnus et déserts; je vois l'homme S'agiter et mourir, pauvre bête de somme Qui va courbant le dos sous son fardeau pesant, Et je suis triste aussi, car je sais le présent. Le troisième cria : Je sais ce qui commence, Je vois le germe croître et mûrir la semence : Trois mots résument tout : Naître, vivre et mourir, Et je pleure, sachant l'éternel avenir. Les trois sphinx s'étaient tus. Dans la nuit sans étoiles, Cheik Mohamed pleurait, et, déchirant ses voiles,