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Ayant dit, avec le rite consacré, les propres paroles que l’hiérophante m’avait ordonné de proférer, toutes les vierges prêtresses, expertes en leur vénérable ministère, répondirent : « Ainsi soit-il. » À la dernière fois, elle me commanda de plonger ma torche allumée dans la froide citerne.

En moins de temps que je n’en mis à accomplir son saint commandement, prenant la précieuse lépiste d’hyacinte par une cordelette d’or et de soie verte et cramoisie[1] destinée à cet office, l’hiérophante la plongea dans la citerne, en retira de l’eau bénite et l’offrit religieusement à la nymphe seulement. Celle-ci la but avec une dévotion empressée ; immédiatement après quoi la prêtresse hiératique referma soigneusement, au moyen de la petite clef d’or, le couvercle de la citerne ; puis, lisant, au-dessus, les prières efficaces et saintes, ainsi que les exorcismes, commanda aussitôt à la nymphe de dire par trois fois ces paroles devant moi : « Que la divine Cythérée exauce ton vœu et que son fils propice se repaisse de moi. » Les vierges répondirent : « Ainsi soit-il. »

Ces cérémonies religieusement accomplies, la nymphe, pleine de respect, se prosterna aux pieds chaussés de sandales de pourpre, brodées d’or, ornées de nombreuses pierreries, de la prêtresse qui la fit aussitôt se relever et lui donna un saint baiser. La nymphe, après, se retournant vers moi dont le courage renaissait, en belle et paisible contenance, avec un aspect rempli de piété, me dit ainsi, tout en poussant un chaud soupir du fond de son cœur enflammé : « Très-souhaité, très-cher Poliphile, ton ardent, ton excessif désir, ton amour fidèle et persévérant me retirant du chaste

  1. Cramoisi voulait dire, autrefois, teint deux fois ; pourtant le Dictionnaire de Nicot lui donne déjà le sens de rouge.