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Quelques-uns chantaient, d’une voix contenue entremêlée de faibles soupirs s’échappant de leur poitrine en feu, des vers d’amour élégamment tournés, avec des accents d’une suavité à enivrer les sauvages cœurs de pierre, à dompter la raideur de l’inaccessible mont Caucase, à contrarier les effets de la lyre d’Orphée, à vaincre l’aspect maléficiant de Méduse, à rendre plaisant et à séduire n’importe quel monstre horrible, à calmer le mouvement continuel de Scylla[1] pleine de rage. D’autres se tenaient appuyés contre le chaste sein des jeunes filles assises, leur contant les tours galants du haut Jupiter, tandis que les nymphes, souriant finement, entouraient leurs cheveux frisés de charmantes guirlandes de fleurs et d’herbes odorantes dont elles les couronnaient avec un plaisir extrême. Des groupes feignaient de se repousser et de se fuir tout en s’adorant ; puis ils se poursuivaient et se couraient sus. Quelques-unes des jeunes filles proféraient, de leur petite bouche, de riantes et féminines clameurs ; leurs tresses blondes pendant éparses sur leurs épaules lactées qu’elles voilaient, brillaient comme des fils d’or, serrées qu’elles étaient de tige de myrte vert. Bon nombre les avaient attachées avec des écharpes flottantes, ou nouées dans un arrangement de coiffure avec des rubans d’or garnis de gemmes. En les rejoignant, les jeunes gens se baissaient pour cueillir de belles fleurs dont ils emplissaient leurs mains potelées, puis, avec des feintes amoureuses, les jetaient, en s’ébattant et en plaisantant voluptueusement, à leurs beaux visages. D’autres posaient des roses effeuillées entre les seins enfermés dans des corsages strictement lacés, et appliquaient aux

  1. Fille de Phorcus et de la nymphe Crateidos ; changée par Circé, sa rivale, en chien aboyant, elle se jeta de désespoir dans la mer et devint un écueil redoutable aux navigateurs. (Hyginus, fab. 189.)