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où je me trouvais avait d’innombrables couloirs et ouvertures occasionnant un va-et-vient qui vous faisait oublier l’issue et retomber sans cesse dans la même erreur. C’était à se croire dans la caverne aux nombreuses chambres du terrible Cyclope[1] ou dans l’antre sombre du voleur Cacus[2].

Bien que ma vue se fût faite aux ténèbres, je ne pouvais rien apercevoir, infortuné que j’étais ! En courant je portais mes bras au-devant de mon visage, afin de ne pas donner du front contre quelque pilier. Tel va le colimaçon, allongeant ou raccourcissant ses petites cornes molles pour se gouverner, les tendant ou les rentrant le long de son parcours, au contact du moindre obstacle. J’allais ainsi en rencontrant les fondations de la montagne et de la pyramide, me retournant maintes fois dans la direction de la porte, afin de voir si le cruel et formidable dragon ne me suivait pas. Toute lumière avait disparu.

Je me trouvai donc dans les entrailles obscures, dans les méandres noirs des cavernes sombres, en proie à une plus mortelle terreur que celle qu’éprouva Mercure lorsqu’il fut changé en ibis, ou Apollon alors qu’il fut changé en grue, ou Diane lorsqu’elle fut muée en un oiselet sautillant, ou le dieu Pan lorsqu’il revêtit deux formes. J’eus une frayeur plus grande que ne fut jamais celle d’Œdipe, de Cyrus, de Crésus ou de Persée, une épouvante plus mortelle que celle du brigand Thrasyleon[3] revêtu de la peau de l’ours. Je courais un danger plus menaçant que Lucius [4] métamorphosé

  1. Polyphème.
  2. Brigand du temps d’Évandre, tué par Hercule.
  3. Personnage de l’Âne d’or d’Apulée, qui, s’étant revêtu d’une peau d’ours, fut tué sous ce déguisement.
  4. Metamorphoseon d’Apulée.