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Deux ans plus tard, nous le trouvons chez Reybaud, dans son laineux livre publié en 1840, Les Réformateurs contemporains, avec ce sous-titre « Les socialistes modernes », Sous le nom de socialistes modernes, il cite les trois grands précurseurs du socialisme, que nous appelons maintenant utopiques : Robert Owen, Saint-Simon et Charles Fourier.

Comme conception, le socialisme, je l’ai dit, s’oppose a l’individualisme. Le socialisme considère que l’homme, en dehors de la société, n’est pas véritablement homme. L’homme ne se développe, ne se réalise intégralement qu’au milieu de la vie sociale, qu’au milieu de la société. La conception socialiste, collectiviste ou communiste de l’humanité prend donc comme base non l’homme isolé, l’homme individuel, l’égoïsme individuel, mais l’intérêt individuel solidaire avec l’intérêt de la société. La conception socialiste on communiste n’oppose pas l’individu à la société comme le disent nos adversaires. Cette conception, au contraire, démontre que l’intérêt véritable de l’individu ne lient se réaliser que dans et par la société.

Je suis obligé de faire encore quelques citations. Je prends, pour caractériser l’individualisme, le représentant le plus remarquable et le plus génial de cette conception, car si on attaque une conception, il ne faut pas prendre un échantillon faible. Ce serait partial. Parmi les représentants de chaque conception, il peut se trouver des hommes inférieurs à cette conception. Il faut choisir les meilleurs représentants de cette conception. Je prends donc le grand poète Goethe, qui était en même temps un grand philosophe et un grand naturaliste. Voilà comment il caractérise la conception individualiste on l’égoïsme bourgeois capitaliste. Il ne connaissait des doctrines socialistes que la conception saint-simonienne, qui était la conception de son époque. Voilà comment il parle du saint-simonisme :

« Cette théorie saint-simonienne me paraît, en général, bien peu pratique, bien inexécutable. Elle est en contradiction avec la nature, avec l’expérience, avec la marche des choses depuis des siècles. Si chacun fait individuellement son devoir, et dans la sphère d’action la plus rapprochée, agit avec loyauté et énergie, l’ensemble de la société marchera bien. Dans ma carrière d’écrivain, je ne me suis jamais demandé : Que veut la masse de la nation ? Comment servirai-je la société ? Non, mais j’ai surtout travaillé à donner à mon esprit plus de pénétration et à être meilleur moi-même, à enrichir mon être propre, et à ne dire que ce que j’avais reconnu, par l’étude, comme bon et vrai. Ce que j’ai dit, je le reconnais, a exercé une action sur l’ensemble et a rendu des services au loin dans un grand cercle, mais ce n’était pas là mon but, c’était une conséquence…

« Provisoirement, ma grande maxime est celle-ci : « Que le père de famille s’occupe de sa maison, l’artisan de ses pratiques, le prêtre de l’amour du prochain, et que la police ne gêne pas nos plaisirs ».

Voilà, dans sa pureté classique, la conception individualiste : L’individu à la base de tout. La société n’a qu’une seule fonction, c’est l’ordre ; la police ne doit pas empêcher l’individu de s’occuper de ses intérêts. Et de cette collaboration — si ou peut appeler collaboration des actions des individus ayant pour principe « Chacun pour soi » — de ces actions simultanées, il résulte, comme l’espèce Goethe, comme