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résultat de ce choc inévitable, fatal, sera la lutte pour la réalisation de la société socialiste communiste.

Je vous indique aujourd’hui seulement quelques points d’ordre général. Nous entrerons dans les détails au cours des leçons suivantes. Je vous donne seulement maintenant l’orientation générale.

La différence fondamentale qui distingue le socialisme des autres doctrines n’est pas dans une idée abstraite, mais dans les faits de la vie elle-même. Le socialisme tient compte de la division de la société en classes. Il ne s’adresse pas à la bonne volonté des exploiteurs. Il peut y avoir de très bonnes volontés individuelles, et même des convertis au socialisme parmi les classes dominantes, comme il y avait des chrétiens secrets même parmi les empereurs romains pendant la période de développement du christianisme. Mais on n’a jamais vu dans l’histoire qu’une classe entière abdique et renonce volontairement à ses privilèges. Voilà pourquoi le socialisme ne s’adresse pas à la bonne volonté, à la raison, au bon sens de n’importe qui. Il s’adresse à la classe prolétarienne, qui est intéressée à la transformation sociale et qui, comme dit dans sa conclusion le Manifeste de Karl Marx et Engels, n’a que des chaînes à y perdre et tout un monde à y gagner.

Le socialisme s’adresse donc à une classe déterminée. « Socialisme de classe » ne veut pas, dire que, dans les résultats, une fois le socialisme réalisé, ce sera un socialisme de classe. Au contraire, le socialisme moderne, sorti de la division de la société en classes, doit aboutir à la disparition des classes, parce que lorsque les clauses disparaîtront, les effets disparaîtront également. Lorsque disparaîtront les causes de la division de la société en classes, les classes et la lutte de classes cesseront, par là-même, d’exister.

Par cela même, la lutte de classe du prolétariat aboutit fatalement, non seulement à l’émancipation de cette classe, mais à celle de la société tout entière. D’où le mot profond du fondateur de l’organisation ouvrière en Allemagne, dans son fameux discours sur la mission historique de la classe ouvrière :

Pris individuellement, les ouvriers ne sont peut-être pas meilleurs, et sont parfois pires que les bourgeois pris individuellement. Mais comme classe, ce qui distingue la classe ouvrière de la classe capitaliste, c’est que par son intérêt de classe, par son égoïsme, la classe capitaliste est attachée à un idéal réactionnaire de conservation sociale, tandis que l’égoïsme du prolétariat, son intérêt de classe, son intérêt égoïste même, est attaché à l’émancipation de la masse tout entière, au progrès, La classe ouvrière ne peut s’émanciper qu’en émancipant la société tout entière. »

Voilà ce qui distingue l’idéal de classe du prolétariat de l’idéal des autres classes.

Je veux conclure par cette observation : Nous constatons, à notre époque, une variété des idées sociales ou soi-disant socialistes, qui marque un retour vers l’utopie. J’ai nommé les réformistes. Si vous vous rendez bien compte de tous les traits qui distinguent les socialistes utopistes, vous verrez que les réformistes présentent les mêmes caractères distinctifs. Les soi-disant « socialistes » réformistes font comme eux abstraction de la division de la société en classes. La base de leur conception est la collaboration des classes, c’est-à-dire la confusion des classes. Eux aussi, s’adressent à la bonne volonté des gouvernants, aux