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la lui pardonna bien vite. Elle y vit l’effet d’une candeur charmante. Et ce qui manquait précisément à ses yeux à cet homme, auquel on trouvait tant de génie, c’était l’air de la candeur.

— Ton petit précepteur m’inspire beaucoup de méfiance, lui disait quelquefois madame Derville. Je lui trouve l’air de penser toujours et de n’agir qu’avec politique. C’est un sournois.

Julien resta profondément humilié du malheur de n’avoir su que répondre à madame de Rênal.

Un homme comme moi se doit de réparer cet échec, et saisissant le moment où l’on passait d’une pièce à l’autre, il crut de son devoir de donner un baiser à madame de Rênal.

Rien de moins amené, rien de moins agréable et pour lui et pour elle, rien de plus imprudent. Ils furent sur le point d’être aperçus. Madame de Rênal le crut fou. Elle fut effrayée et surtout choquée. Cette sottise lui rappela M. Valenod.

Que m’arriverait-il, se dit-elle, si j’étais seule avec lui ? Toute sa vertu revint, parce que l’amour s’éclipsait.

Elle s’arrangea de façon à ce qu’un de ses enfants restât toujours auprès d’elle.

La journée fut ennuyeuse pour Julien, il la passa tout entière à exécuter avec gaucherie son plan de séduction. Il ne regarda pas une seule fois madame de Rênal, sans que ce regard n’eût un pourquoi ; cependant, il n’était pas assez sot pour ne pas voir qu’il ne réussissait point à être aimable et encore moins séduisant.

Madame de Rênal ne revenait point de son étonnement de le trouver si gauche et en même temps si hardi. C’est la timidité de l’amour, dans un homme d’esprit ! se dit-elle enfin, avec une joie inexprimable. Serait-il possible qu’il n’eût jamais été aimé de ma rivale !

Après le déjeuner, madame de Rênal rentra dans le salon pour recevoir la visite de M. Charcot de Maugiron, le sous-préfet de Bray. Elle travaillait à un petit métier de tapisserie fort élevé. Madame Derville était à ses côtés. Ce fut dans une telle position, et par le plus grand jour, que notre héros trouva