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assuré et tous les rêves héroïques de sa jeunesse. Je n’ai donc pas une véritable fermeté, se disait-il ; et c’était là le doute qui lui faisait le plus de mal. Je ne suis pas du bois dont on fait les grands hommes, puisque je crains que huit années passées à me procurer du pain, ne m’enlèvent cette énergie sublime qui fait faire les choses extraordinaires.

XIII

Les Bas à jour.

Un roman : c’est un miroir qu’on
promène le long d’un chemin.
Saint-Réal.

Quand Julien aperçut les ruines pittoresques de l’ancienne église de Vergy, il remarqua que depuis l’avant-veille il n’avait pas pensé une seule fois à madame de Rênal. L’autre jour en partant, cette femme m’a rappelé la distance infinie qui nous sépare, elle m’a traité comme le fils d’un ouvrier. Sans doute elle a voulu me marquer son repentir de m’avoir laissé sa main la veille… Elle est pourtant bien jolie, cette main ! quel charme ! quelle noblesse dans les regards de cette femme !

La possibilité de faire fortune avec Fouqué donnait une certaine facilité aux raisonnements de Julien ; ils n’étaient plus aussi souvent gâtés, par l’irritation, et le sentiment vif de sa pauvreté et de sa bassesse aux yeux du monde. Placé comme sur un promontoire élevé, il pouvait juger et dominait pour ainsi dire l’extrême pauvreté et l’aisance qu’il appelait encore richesse. Il était loin de juger sa position en philosophe, mais il eut assez de clairvoyance pour se sentir différent après ce petit voyage dans la montagne.

Il fut frappé du trouble extrême avec lequel madame de Rênal écouta le petit récit de son voyage, qu’elle lui avait demandé.

Fouqué avait eu des projets de mariage, des amours malheureuses ; de longues confidences à ce sujet avaient rempli