Page:Le Rouge et le Noir.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
49
LE ROUGE ET LE NOIR.

le carnaval, disait-elle, quand il y a bal à Verrières, madame ne s’est donné tant de soins pour sa toilette ; elle change de robes deux ou trois fois par jour.

Comme notre intention est de ne flatter personne, nous ne nierons point que madame de Rênal, qui avait une peau superbe, ne se fît arranger des robes qui laissaient les bras et la poitrine fort découverts. Elle était très bien faite, et cette manière de se mettre lui allait à ravir.

Jamais vous n’avez été si jeune, madame, lui disaient ses amis de Verrières qui venaient dîner à Vergy. (C’est une façon de parler du pays.)

Une chose singulière qui trouvera peu de croyance parmi nous, c’était sans intention directe que madame de Rênal se livrait à tant de soins. Elle y trouvait du plaisir ; et, sans y songer autrement, tout le temps qu’elle ne passait pas à la chasse aux papillons avec les enfants et Julien, elle travaillait avec Élisa à bâtir des robes. Sa seule course à Verrières fut causée par l’envie d’acheter de nouvelles robes d’été qu’on venait d’apporter de Mulhouse.

Elle ramena à Vergy une jeune femme de ses parentes. Depuis son mariage, madame de Rênal s’était liée insensiblement avec madame Derville qui autrefois avait été sa compagne au Sacré-Cœur.

Madame Derville riait beaucoup de ce qu’elle appelait les idées folles de sa cousine : Seule, jamais je n’y penserais, disait-elle. Ces idées imprévues qu’on eût appelées saillies à Paris, madame de Rênal en avait honte comme d’une sottise, quand elle était avec son mari ; mais la présence de madame Derville lui donnait du courage. Elle lui disait d’abord ses pensées d’une voix timide ; quand ces dames étaient longtemps seules, l’esprit de madame de Rênal s’animait, et une longue matinée solitaire passait comme un instant et laissait les deux amies fort gaies. À ce voyage, la raisonnable madame Derville trouva sa cousine beaucoup moins gaie et beaucoup plus heureuse.

Julien, de son côté, avait vécu en véritable enfant depuis son séjour à la campagne, aussi heureux de courir à la suite