ché dans les caves de sa maison, est-ce que je me plaindrais ?
L’influence de mes contemporains l’emporte, dit-il tout haut et avec un rire amer. Parlant seul avec moi-même, à deux pas de la mort, je suis encore hypocrite… Ô dix-neuvième siècle !
… Un chasseur tire un coup de fusil dans une forêt, sa proie tombe, il s’élance pour la saisir. Sa chaussure heurte une fourmilière haute de deux pieds, détruit l’habitation des fourmis, sème au loin les fourmis, leurs œufs… Les plus philosophes parmi les fourmis ne pourront jamais comprendre ce corps noir, immense, effroyable : la botte du chasseur, qui tout à coup a pénétré dans leur demeure avec une incroyable rapidité, et précédée d’un bruit épouvantable, accompagné de gerbes d’un feu rougeâtre…
… Ainsi la mort, la vie, l’éternité, choses fort simples pour qui aurait les organes assez vastes pour les concevoir…
Une mouche éphémère naît à neuf heures du matin dans les grands jours d’été, pour mourir à cinq heures du soir ; comment comprendrait-elle le mot nuit ?
Donnez-lui cinq heures d’existence de plus, elle voit et comprend ce que c’est que la nuit.
Ainsi moi, je mourrai à vingt-trois ans. Donnez-moi cinq années de vie de plus, pour vivre avec madame de Rênal.
Il se mit à rire comme Méphistophélès. Quelle folie de discuter ces grands problèmes !
1° Je suis hypocrite comme s’il y avait là quelqu’un pour m’écouter.
2° J’oublie de vivre et d’aimer, quand il me reste si peu de jours à vivre… Hélas ! madame de Rênal est absente ; peut-être son mari ne la laissera plus revenir à Besançon, et continuer à se déshonorer.
Voilà ce qui m’isole, et non l’absence d’un Dieu juste, tout-puissant, point méchant, point avide de vengeance…
Ah ! s’il existait… Hélas ! je tomberais à ses pieds. J’ai mérité la mort, lui dirais-je ; mais, grand Dieu, Dieu bon, Dieu indulgent, rends-moi celle que j’aime !
La nuit était alors fort avancée. Après une heure ou deux d’un sommeil paisible, arriva Fouqué.