Page:Le Rouge et le Noir.djvu/484

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Mon avocat parlera, c’est bien assez, dit-il à Mathilde. Je ne serai que trop longtemps exposé en spectacle à tous mes ennemis. Ces provinciaux ont été choqués de la fortune rapide que je vous dois, et, croyez-m’en, il n’en est pas un qui ne désire ma condamnation, sauf à pleurer comme un sot quand on me mènera à la mort.

— Ils désirent vous voir humilié, il n’est que trop vrai, répondit Mathilde, mais je ne les crois point cruels. Ma présence à Besançon et le spectacle de ma douleur ont intéressé toutes les femmes ; votre jolie figure fera le reste. Si vous dites un mot devant vos juges, tout l’auditoire est pour vous, etc., etc.

Le lendemain à neuf heures, quand Julien descendit de sa prison pour aller dans la grande salle du Palais de Justice, ce fut avec beaucoup de peine que les gendarmes parvinrent à écarter la foule immense entassée dans la cour. Julien avait bien dormi, il était fort calme, et n’éprouvait d’autre sentiment qu’une pitié philosophique pour cette foule d’envieux qui, sans cruauté, allaient applaudir à son arrêt de mort. Il fut bien surpris lorsque retenu plus d’un quart d’heure au milieu de la foule, il fut obligé de reconnaître que sa présence inspirait au public une pitié tendre. Il n’entendit pas un seul propos désagréable. Ces provinciaux sont moins méchants que je ne le croyais, se dit-il.

En entrant dans la salle de jugement, il fut frappé de l’élégance de l’architecture. C’était un gothique propre, et une foule de jolies petites colonnes taillées dans la pierre avec le plus grand soin. Il se crut en Angleterre.

Mais bientôt toute son attention fut absorbée par douze ou quinze jolies femmes qui, placées vis-à-vis la sellette de l’accusé, remplissaient les trois balcons au-dessus des juges et des jurés. En se retournant vers le public, il vit que la tribune circulaire qui règne au-dessus de l’amphithéâtre était remplie de femmes : la plupart étaient jeunes et lui semblèrent fort jolies ; leurs yeux étaient brillants et remplis d’intérêt. Dans le reste de la salle, la foule était énorme ; on se battait aux portes, et les sentinelles ne pouvaient obtenir le silence.

Quand tous les yeux qui cherchaient Julien s’aperçurent de