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LXIX

L’Intrigue.

Castres 1676. — Un frère vient d’assassiner sa sœur dans la maison voisine de la mienne ; ce gentilhomme était déjà coupable d’un meurtre. Son père, en faisant distribuer secrètement cinq cents écus aux conseillers, lui a sauvé la vie.
Locke, Voyage en France.

En sortant de l’évêché, Mathilde n’hésita pas à envoyer un courrier à madame de Fervaques ; la crainte de se compromettre ne l’arrêta pas une seconde. Elle conjurait sa rivale d’obtenir une lettre pour M. de Frilair, écrite en entier de la main de monseigneur l’évêque de ***. Elle allait jusqu’à la supplier d’accourir elle-même à Besançon. Ce trait fut héroïque de la part d’une âme jalouse et fière.

D’après le conseil de Fouqué, elle avait eu la prudence de ne point parler de ses démarches à Julien. Sa présence le troublait assez sans cela. Plus honnête homme à l’approche de la mort qu’il ne l’avait été durant sa vie, il avait des remords non seulement envers M. de La Mole, mais aussi pour Mathilde.

Quoi donc ! se disait-il, je trouve auprès d’elle des moments de distraction et même de l’ennui. Elle se perd pour moi, et c’est ainsi que je l’en récompense ! Serais-je donc un méchant ? Cette question l’eût bien peu occupé quand il était ambitieux ; alors ne pas réussir était la seule honte à ses yeux.

Son malaise moral auprès de Mathilde, était d’autant plus décidé, qu’il lui inspirait en ce moment la passion la plus extraordinaire et la plus folle. Elle ne parlait que des sacrifices étranges qu’elle voulait faire pour le sauver.

Exaltée par un sentiment dont elle était fière et qui l’emportait sur tout son orgueil, elle eût voulu ne pas laisser passer un instant de sa vie sans le remplir par quelque démarche extraordinaire. Les projets les plus étranges, les plus périlleux