Page:Le Rouge et le Noir.djvu/463

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Me tuer ! voilà la grande question, se disait-il. Ces juges si formalistes, si acharnés après le pauvre accusé, qui feraient pendre le meilleur citoyen, pour accrocher la croix… Je me soustrairais à leur empire, à leurs injures en mauvais français, que le journal du département va appeler de l’éloquence…

Je puis vivre encore cinq ou six semaines, plus ou moins… Me tuer ! ma foi non, se dit-il après quelques jours, Napoléon a vécu…

D’ailleurs, la vie m’est agréable ; ce séjour est tranquille ; je n’y ai point d’ennuyeux, ajouta-t-il en riant, et il se mit à faire la note des livres qu’il voulait faire venir de Paris.

LXVII

Un Donjon.

Le tombeau d’un ami.
Sterne.

Il entendit un grand bruit dans le corridor ; ce n’était pas l’heure où l’on montait dans sa prison ; l’orfraie s’envola en criant, la porte s’ouvrit, et le vénérable curé Chélan, tout tremblant et la canne à la main, se jeta dans ses bras.

— Ah ! grand Dieu ! est-il possible, mon enfant… Monstre ! devrais-je dire.

Et le bon vieillard ne put ajouter une parole. Julien craignit qu’il ne tombât. Il fut obligé de le conduire à une chaise. La main du temps s’était appesantie sur cet homme autrefois si énergique. Il ne parut plus à Julien que l’ombre de lui-même.

Quand il eut repris haleine :

— Avant-hier seulement, je reçois votre lettre de Strasbourg, avec vos cinq cents francs pour les pauvres de Verrières ; on me l’a apportée dans la montagne à Liveru où je suis retiré chez mon neveu Jean. Hier, j’apprends la catastrophe… Ô ciel ! est-il possible ! Et le vieillard ne pleurait plus, il avait l’air privé d’idée, et ajouta machinalement : Vous aurez besoin de vos cinq cents francs, je vous les rapporte.