« Julien ne s’est affilié à aucun salon, à aucune coterie. » Il ne s’est ménagé aucun appui contre moi, pas la plus petite ressource si je l’abandonne… Mais est-ce là ignorance de l’état actuel de la société ?… Deux ou trois fois je lui ai dit : Il n’y a de candidature réelle et profitable que celle des salons…
Non, il n’a pas le génie adroit et cauteleux d’un procureur qui ne perd ni une minute ni une opportunité… Ce n’est point un caractère à la Louis XI. D’un autre côté, je lui vois les maximes les plus anti-généreuses… Je m’y perds… Se répéterait-il ces maximes, pour servir de digue à ses passions ?
Du reste, une chose surnage : il est impatient du mépris, je le tiens par là.
Il n’a pas la religion de la haute naissance, il est vrai, il ne nous respecte pas d’instinct… C’est un tort ; mais enfin, l’âme d’un séminariste devrait n’être impatiente que du manque de jouissance et d’argent. Lui, bien différent, ne peut supporter le mépris à aucun prix.
Pressé par la lettre de sa fille, M. de La Mole vit la nécessité de se décider : Enfin, voici la grande question : l’audace de Julien est-elle allée jusqu’à entreprendre de faire la cour à ma fille, parce qu’il sait que je l’aime avant tout, et que j’ai cent mille écus de rente ?
Mathilde proteste du contraire… Non, mon Julien, voilà un point sur lequel je ne veux pas me laisser faire illusion.
Y a-t-il eu amour véritable, imprévu ? ou bien désir vulgaire de s’élever à une belle position ? Mathilde est clairvoyante, elle a senti d’abord que ce soupçon peut le perdre auprès de moi, de là cet aveu : c’est elle qui s’est avisée de l’aimer la première…
Une fille d’un caractère si altier se serait oubliée jusqu’à faire des avances matérielles !… Lui serrer le bras au jardin, un soir, quelle horreur ! comme si elle n’avait pas eu cent moyens moins indécents de lui faire connaître qu’elle le distinguait.
Qui s’excuse s’accuse ; je me défie de Mathilde… Ce jour-là, les raisonnements du marquis étaient plus concluants qu’à