— Quoi ! ma fille s’appellera Mme Sorel ! quoi ! ma fille ne sera pas duchesse ! Toutes les fois que ces deux idées se présentaient aussi nettement, M. de La Mole était torturé et les mouvements de son âme n’étaient plus volontaires. Julien craignit d’être battu.
Dans les intervalles lucides, et lorsque le marquis commençait à s’accoutumer à son malheur, il adressait à Julien des reproches assez raisonnables.
— Il fallait fuir, monsieur, lui disait-il… Votre devoir était de fuir… Vous êtes le dernier des hommes…
Julien s’approcha de la table et écrivit :
« Depuis longtemps la vie m’est insupportable, j’y mets un terme. Je prie monsieur le marquis d’agréer, avec l’expression d’une reconnaissance sans bornes, mes excuses de l’embarras que ma mort dans son hôtel peut causer. »
— Que monsieur le marquis daigne parcourir ce papier… Tuez-moi, dit Julien, ou faites-moi tuer par votre valet de chambre. Il est une heure du matin, je vais me promener au jardin vers le mur du fond.
— Allez à tous les diables, lui cria le marquis comme il s’en allait.
— Je comprends, pensa Julien ; il ne serait pas fâché de me voir épargner la façon de ma mort à son valet de chambre… Qu’il me tue, à la bonne heure, c’est une satisfaction que je lui offre… Mais, parbleu, j’aime la vie… Je me dois à mon fils.
Cette idée, qui pour la première fois paraissait aussi nettement à son imagination, l’occupa tout entier après les premières minutes de promenade données au sentiment du danger.
Cet intérêt si nouveau en fit un être prudent. Il me faut des conseils pour me conduire avec cet homme fougueux… Il n’a aucune raison, il est capable de tout. Fouqué est trop éloigné, d’ailleurs il ne comprendrait pas les sentiments d’un cœur tel que celui du marquis.
Le comte Altamira… Suis-je sûr d’un silence éternel ? Il ne faut pas que ma demande de conseils soit une action, et complique ma position. Hélas ! il ne me reste que le sombre abbé