même que jamais je ne vous adresserai la parole, si votre réputation ne pouvait souffrir de ce changement trop marqué. Il salua avec respect et partit.
Il accomplissait sans trop de peine ce qu’il croyait un devoir ; il était bien loin de se croire fort amoureux de mademoiselle de La Mole. Sans doute il ne l’aimait pas trois jours auparavant, quand on l’avait caché dans la grande armoire d’acajou. Mais tout changea rapidement dans son âme, du moment qu’il se vit à jamais brouillé avec elle.
Sa mémoire cruelle se mit à lui retracer les moindres circonstances de cette nuit qui dans la réalité l’avait laissé si froid.
Dans la nuit même qui suivit la déclaration de brouille éternelle, Julien faillit devenir fou en étant obligé de s’avouer qu’il aimait mademoiselle de La Mole.
Des combats affreux suivirent cette découverte : tous ses sentiments étaient bouleversés.
Deux jours après, au lieu d’être fier avec M. de Croisenois il l’aurait presque embrassé en fondant en larmes.
L’habitude du malheur lui donna une lueur de bon sens, il se décida à partir pour le Languedoc, fit sa malle et alla à la poste.
Il se sentit défaillir quand, arrivé au bureau des malles-poste, on lui apprit que, par un hasard singulier, il y avait une place le lendemain dans la malle de Toulouse. Il l’arrêta et revint à l’hôtel de La Mole, annoncer son départ au marquis.
M. de La Mole était sorti. Plus mort que vif, Julien alla l’attendre dans la bibliothèque. Que devint-il en y trouvant mademoiselle de La Mole ?
En le voyant paraître, elle prit un air de méchanceté auquel il lui fut impossible de se méprendre.
Emporté par son malheur, égaré par la surprise, Julien eut la faiblesse de lui dire, du ton le plus tendre et qui venait de l’âme : — Ainsi, vous ne m’aimez plus ?
— J’ai horreur de m’être livrée au premier venu, dit Mathilde en pleurant de rage contre elle-même.
— Au premier venu ! s’écria Julien, et il s’élança sur une