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XLIII

Un Complot.

Des propos décousus, des rencontres par effet du hasard, se transforment en preuves de la dernière évidence aux yeux de l’homme à imagination s’il a quelque feu dans le cœur.
Schiller.

Le lendemain, il surprit encore Norbert et sa sœur, qui parlaient de lui. À son arrivée, un silence de mort s’établit, comme la veille. Ses soupçons n’eurent plus de bornes. Ces aimables jeunes gens auraient-ils entrepris de se moquer de moi ? Il faut avouer que cela est beaucoup plus probable, beaucoup plus naturel qu’une prétendue passion de mademoiselle de La Mole, pour un pauvre diable de secrétaire. D’abord, ces gens-là ont-ils des passions ? Mystifier est leur fort. Ils sont jaloux de ma pauvre petite supériorité de paroles. Être jaloux, est encore un de leurs faibles. Tout s’explique dans ce système. Mademoiselle de La Mole veut me persuader qu’elle me distingue, tout simplement pour me donner en spectacle à son prétendu.

Ce cruel soupçon changea toute la position morale de Julien. Cette idée trouva dans son cœur un commencement d’amour qu’elle n’eut pas de peine à détruire. Cet amour n’était fondé que sur la rare beauté de Mathilde, ou plutôt sur ses façons de reine et sa toilette admirable. En cela Julien était encore un parvenu. Une jolie femme du grand monde est, à ce qu’on assure, ce qui étonne le plus un paysan homme d’esprit, quand il arrive aux premières classes de la société. Ce n’était point le caractère de Mathilde qui faisait rêver Julien les jours précédents. Il avait assez de sens pour comprendre qu’il ne connaissait point ce caractère. Tout ce qu’il en voyait pouvait n’être qu’une apparence.

Par exemple, pour tout au monde, Mathilde n’aurait pas