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rêtaient sur lui. Il trouvait bien un redoublement de froideur dans les manières du comte Norbert, et un nouvel accès de hauteur dans celles de MM. de Caylus, de Luz et de Croisenois. Il y était accoutumé. Ce malheur lui arrivait quelquefois à la suite d’une soirée où il avait brillé plus qu’il ne convenait à sa position. Sans l’accueil particulier que lui faisait Mathilde, et la curiosité que tout cet ensemble lui inspirait, il eût évité de suivre au jardin ces brillants jeunes gens à moustaches, lorsque les après-dînées ils y accompagnaient mademoiselle de La Mole.

Oui, il est impossible que je me le dissimule, se disait Julien, mademoiselle de La Mole me regarde d’une façon singulière. Mais, même quand ses beaux yeux bleus fixés sur moi sont ouverts avec le plus d’abandon, j’y lis toujours un fond d’examen, de sang-froid et de méchanceté. Est-il possible que ce soit là de l’amour ? Quelle différence avec les regards de madame de Rênal !

Une après-dînée, Julien, qui avait suivi M. de La Mole dans son cabinet, revenait rapidement au jardin. Comme il approchait sans précaution du groupe de Mathilde, il surprit quelques mots prononcés très haut. Elle tourmentait son frère. Julien entendit son nom prononcé distinctement deux fois. Il parut ; un silence profond s’établit tout à coup, et l’on fit de vains efforts pour le faire cesser. Mademoiselle de La Mole et son frère étaient trop animés pour trouver un autre sujet de conversation. MM. de Caylus, de Croisenois, de Luz et un de leurs amis, parurent à Julien d’un froid de glace. Il s’éloigna.