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tagoniste, dans son cœur, que la peur de la mort de ses enfants, c’était une affection raisonnable et naturelle, aimable même pour moi qui en souffrais. J’ai été un sot. Les idées que je me faisais de Paris m’ont empêché d’apprécier cette femme sublime.

Quelle différence, grand Dieu ! et qu’est-ce que je trouve ici ? de la vanité sèche et hautaine, toutes les nuances de l’amour-propre et rien de plus.

On se levait de table. Ne laissons pas engager mon académicien, se dit Julien. Il s’approcha de lui comme on passait au jardin, prit un air doux et soumis, et partagea sa fureur contre le succès d’Hernani.

— Si nous étions encore au temps des lettres de cachet !… dit-il…

— Alors il n’eût pas osé, s’écria l’académicien avec un geste à la Talma.

À propos d’une fleur, Julien cita quelques mots des Géorgiques de Virgile, et trouva que rien n’était égal aux vers de l’abbé Delille. En un mot, il flatta l’académicien de toutes les façons. Après quoi, de l’air le plus indifférent : — Je suppose, lui dit-il, que mademoiselle de La Mole a hérité de quelque oncle dont elle porte le deuil.

— Quoi ! vous êtes de la maison, dit l’académicien en s’arrêtant tout court, et vous ne savez pas sa folie ? Au fait, il est étrange que sa mère lui permette de telles choses ; mais entre nous, ce n’est pas précisément par la force du caractère qu’on brille dans cette maison. Mademoiselle Mathilde en a pour eux tous, et les mène. C’est aujourd’hui le 30 avril ! et l’académicien s’arrêta en regardant Julien d’un air fin. Julien sourit de l’air le plus spirituel qu’il put.

Quel rapport peut-il y avoir entre mener toute une maison, porter une robe noire, et le 30 avril ? se disait-il. Il faut que je sois encore plus gauche que je ne le pensais.

— Je vous avouerai… dit-il à l’académicien, et son œil continuait à interroger. Faisons un tour de jardin, dit l’académicien entrevoyant avec ravissement l’occasion de faire une longue narration élégante.