Que cette grande fille me déplaît ! pensa-t-il, en regardant marcher mademoiselle de La Mole, que sa mère avait appelée pour la présenter à plusieurs femmes de ses amies. Elle outre toutes les modes ; sa robe lui tombe des épaules… elle est encore plus pâle qu’avant son voyage… Quels cheveux sans couleur, à force d’être blonds ; on dirait que le jour passe à travers !… Que de hauteur dans cette façon de saluer, dans ce regard ! quels gestes de reine ! Mademoiselle de La Mole venait d’appeler son frère, au moment où il quittait le salon.
Le comte Norbert s’approcha de Julien :
— Mon cher Sorel, lui dit-il, où voulez-vous que je vous prenne à minuit pour le bal de M. de Retz ? il m’a chargé expressément de vous amener.
— Je sais bien à qui je dois tant de bontés, répondit Julien, en saluant jusqu’à terre.
Sa mauvaise humeur, ne pouvant rien trouver à reprendre au ton de politesse et même d’intérêt avec lequel Norbert lui avait parlé, se mit à s’exercer sur la réponse que lui, Julien, avait faite à ce mot obligeant. Il y trouvait une nuance de bassesse.
Le soir, en arrivant au bal, il fut frappé de la magnificence de l’hôtel de Retz. La cour d’entrée était couverte d’une immense tente de coutil cramoisi avec des étoiles en or : rien de plus élégant. Au-dessous de cette tente, la cour était transformée en un bois d’orangers et de lauriers-roses en fleurs. Comme on avait eu soin d’enterrer suffisamment les vases, les lauriers et les orangers avaient l’air de sortir de terre. Le chemin que parcouraient les voitures était sablé.
Cet ensemble parut extraordinaire à notre provincial. Il n’avait pas l’idée d’une telle magnificence ; en un instant son imagination émue fut à mille lieues de la mauvaise humeur. Dans la voiture, en venant au bal, Norbert était heureux, et lui voyait tout en noir ; à peine entrés dans la cour, les rôles changèrent.
Norbert n’était sensible qu’à quelques détails, qui, au milieu de tant de magnificence, n’avaient pu être soignés. Il évaluait la dépense de chaque chose, et, à mesure qu’il arrivait à un