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— Vous êtes allé chercher la croix que voilà, lui dit le marquis. Je ne veux pas vous faire quitter votre habit noir et je suis accoutumé au ton plus amusant que j’ai pris avec l’homme portant l’habit bleu. Jusqu’à nouvel ordre, entendez bien ceci : quand je verrai cette croix, vous serez le fils cadet de mon ami le duc de Chaulnes, qui sans s’en douter est depuis six mois employé dans la diplomatie. Remarquez, ajouta le marquis, d’un air fort sérieux, et coupant court aux actions de grâces, que je ne veux point vous sortir de votre état. C’est toujours une faute et un malheur pour le protecteur comme pour le protégé. Quand mes procès vous ennuieront, ou que vous ne me conviendrez plus, je demanderai pour vous une bonne cure, comme celle de notre ami l’abbé Pirard, et rien de plus, ajouta le marquis d’un ton fort sec.

Cette croix mit à l’aise l’orgueil de Julien ; il parla beaucoup plus. Il se crut moins souvent offensé, et pris de mire par ces propos, susceptibles de quelque explication peu polie et qui, dans une conversation animée, peuvent échapper à tout le monde.

Cette croix lui valut une singulière visite ; ce fut celle de M. le baron de Valenod, qui venait à Paris remercier le ministère de sa baronnie et s’entendre avec lui. Il allait être nommé maire de Verrières en remplacement de M. de Rênal.

Julien rit bien, intérieurement, quand M. de Valenod lui fit entendre, qu’on venait de découvrir que M. de Rênal était un jacobin. Le fait est que dans une réélection qui se préparait, le nouveau baron était le candidat du ministère, et au grand collège du département, à la vérité fort ultra, c’était M. de Rênal qui était porté par les libéraux.

Ce fut en vain que Julien essaya de savoir quelque chose de madame de Rênal ; le baron parut se souvenir de leur ancienne rivalité et fut impénétrable. Il finit par demander à Julien la voix de son père dans les élections qui allaient avoir lieu. Julien promit d’écrire.

— Vous devriez, monsieur le chevalier, me présenter à M. le marquis de La Mole.

En effet je le devrais, pensa Julien, mais un tel coquin !…