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entendait les chiens rôder et gronder à demi autour du pied de son échelle. C’est moi, répétait-il assez haut, un ami. Pas de réponse ; le fantôme blanc avait disparu. Daignez m’ouvrir, il faut que je vous parle, je suis trop malheureux ! et il frappait de façon à briser la vitre.

Un petit bruit sec se fit entendre ; l’espagnolette de la fenêtre cédait ; il poussa la croisée, et sauta légèrement dans la chambre.

Le fantôme blanc s’éloignait ; il lui prit les bras ; c’était une femme. Toutes ses idées de courage s’évanouirent. Si c’est elle, que va-t-elle dire ? Que devint-il, quand il comprit à un petit cri que c’était madame de Rênal ?

Il la serra dans ses bras ; elle tremblait, et avait à peine la force de le repousser.

— Malheureux ! que faites-vous ?

À peine si sa voix convulsive pouvait articuler ces mots. Julien y vit l’indignation la plus vraie.

— Je viens vous voir après quatorze mois d’une cruelle séparation.

— Sortez, quittez-moi à l’instant. Ah ! Monsieur Chélan, pourquoi m’avoir empêché de lui écrire ? j’aurais prévenu cette horreur. Elle le repoussa avec une force vraiment extraordinaire. Je me repends de mon crime ; le ciel a daigné m’éclairer, répétait-elle d’une voix entrecoupée. Sortez ! fuyez !

— Après quatorze mois de malheur, je ne vous quitterai certainement pas sans vous avoir parlé. Je veux savoir tout ce que vous avez fait. Ah ! je vous ai assez aimée pour mériter cette confidence… je veux tout savoir.

Malgré madame de Rênal, ce ton d’autorité avait de l’empire sur son cœur.

Julien, qui la tenait serrée avec passion, et résistait à ses efforts pour se dégager, cessa de la presser dans ses bras. Ce mouvement rassura un peu madame de Rênal.

— Je vais retirer l’échelle, dit-il, pour qu’elle ne nous compromette pas si quelque domestique, éveillé par le bruit, fait une ronde.

— Ah ! sortez, sortez au contraire, lui dit-on avec une admi-