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— Il ne vient que pour déverser le blâme, et ensuite il fera insérer des articles dans les journaux du libéralisme.

— Vous ne les lisez jamais, mon ami.

— Mais on nous parle de ces articles jacobins ; tout cela nous distrait et nous empêche de faire le bien[1]. Quant à moi, je ne pardonnerai jamais au curé.

III

Le Bien des Pauvres

Un curé vertueux et sans intrigue est une Providence pour le village.
Fleury

Il faut savoir que le curé de Verrières, vieillard de quatre-vingts ans, mais qui devait à l’air vif de ces montagnes une santé et un caractère de fer, avait le droit de visiter à toute heure la prison, l’hôpital et même le dépôt de mendicité. C’était précisément à 6 heures du matin, que M. Appert, qui de Paris était recommandé au curé, avait eu la sagesse d’arriver dans une petite ville curieuse. Aussitôt il était allé au presbytère.

En lisant la lettre que lui écrivait M. le marquis de La Mole, pair de France, et le plus riche propriétaire de la province, le curé Chélan resta pensif.

— Je suis vieux et aimé ici, se dit-il enfin à mi-voix, ils n’oseraient !

Se tournant tout de suite vers le monsieur de Paris, avec des yeux où, malgré le grand âge, brillait ce feu sacré qui annonce le plaisir de faire une belle action un peu dangereuse :

— Venez avec moi, monsieur, et en présence du geôlier et surtout des surveillants du dépôt de mendicité, veuillez n’émettre aucune opinion sur les choses que nous verrons.

M. Appert comprit qu’il avait affaire à un homme de cœur : il suivit le

  1. Historique.