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grossier et manquant de tact ; chaque jour, croyant être poli, il m’adresse des compliments exagérés et de mauvais goût, qu’il apprend par cœur dans quelque roman…

— Il n’en lit jamais, s’écria M. de Rênal ; je m’en suis assuré. Croyez-vous que je sois un maître de maison aveugle et qui ignore ce qui se passe chez lui ?

— Eh bien ! s’il ne lit nulle part ces compliments ridicules, il les invente, et c’est encore tant pis pour lui. Il aura parlé de moi sur ce ton dans Verrières ; … et, sans aller si loin, dit madame de Rênal, avec l’air de faire une découverte, il aura parlé ainsi devant Élisa, c’est à peu près comme s’il eût parlé devant M. Valenod.

— Ah ! s’écria M. de Rênal en ébranlant la table et l’appartement par un des plus grands coups de poing qui aient jamais été donnés, la lettre anonyme imprimée et les lettres du Valenod sont écrites sur le même papier.

Enfin !… pensa madame de Rênal ; elle se montra atterrée de cette découverte, et sans avoir le courage d’ajouter un seul mot alla s’asseoir au loin sur le divan, au fond du salon.

La bataille était désormais gagnée ; elle eut beaucoup à faire pour empêcher M. de Rênal d’aller parler à l’auteur supposé de la lettre anonyme.

— Comment ne sentez-vous pas que faire une scène sans preuves suffisantes, à M. Valenod, est la plus insigne des maladresses ? Vous êtes envié, monsieur, à qui la faute ? à vos talents : votre sage administration, vos bâtisses pleines de goût, la dot que je vous ai apportée, et surtout l’héritage considérable que nous pouvons espérer de ma bonne tante, héritage dont on s’exagère infiniment l’importance, ont fait de vous le premier personnage de Verrières.

— Vous oubliez la naissance, dit M. de Rênal, en souriant un peu.

— Vous êtes l’un des gentilshommes les plus distingués de la province, reprit avec empressement madame de Rênal ; si le roi était libre et pouvait rendre justice à la naissance, vous figureriez sans doute à la Chambre des pairs, etc. Et c’est dans