Page:Le Rouge et le Noir.djvu/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ailleurs. Quant au ruisseau public qui faisait aller la scie, M. de Rênal, au moyen du crédit dont il jouit à Paris, a obtenu qu’il fût détourné. Cette grâce lui vint après les élections de 182 *.

Il a donné à Sorel quatre arpents pour un, à cinq cents pas plus bas sur les bords du Doubs. Et, quoique cette position fût beaucoup plus avantageuse pour son commerce de planches de sapin, le père Sorel, comme on l’appelle depuis qu’il est riche, a eu le secret d’obtenir de l’impatience et de la manie de propriétaire, qui animait son voisin, une somme de 6,000 fr.

Il est vrai que cet arrangement a été critiqué par les bonnes têtes de l’endroit. Une fois, c’était un jour de dimanche, il y a quatre ans de cela, M. de Rênal, revenant de l’église en costume de maire, vit de loin le vieux Sorel, entouré de ses trois fils, sourire en le regardant. Ce sourire a porté un coup fatal dans l’âme de M. le maire ; il pense depuis lors qu’il eût pu obtenir l’échange à meilleur marché.

Pour arriver à la considération publique à Verrières, l’essentiel est de ne pas adopter, tout en bâtissant beaucoup de murs, quelque plan apporté d’Italie par ces maçons, qui au printemps traversent les gorges du Jura pour gagner Paris. Une telle innovation vaudrait à l’imprudent bâtisseur une éternelle réputation de mauvaise tête, et il serait à jamais perdu auprès des gens sages et modérés qui distribuent la considération en Franche-Comté.

Dans le fait, ces gens sages y exercent le plus ennuyeux despotisme ; c’est à cause de ce vilain mot que le séjour des petites villes est insupportable pour qui a vécu dans cette grande république qu’on appelle Paris. La tyrannie de l’opinion, et quelle opinion ! est aussi bête dans les petites villes de France qu’aux États-Unis d’Amérique.